Où commence le racisme ? 

L’éternel retour de la question de la race dans le débat public, dont l’actualité rappelle combien elle n’a jamais été soldée, se concentre aujourd’hui sur ses usages politiques à géométrie variable. Car si le mythe de l’inégalité biologique des races s’est effondré, le racisme s’est en partie culturalisé. Le dialogue, conflictuel mais poli, entre deux jeunes philosophes, Norman Ajari et Marylin Maeso, met en lumière la vitalité explosive des débats contemporains sur le sujet, en clarifiant certains malentendus sur l’utilisation du mot « race » dans les luttes antiracistes. Le racisme commence-t-il seulement dans l’expression du mépris à l’endroit d’une communauté ? Ou procède-t-il aussi de l’usage répété du terme « racisé » par des communautés stigmatisées trouvant dans la notion de race un moteur de solidarité ? S’il importe de « conscientiser » les individus à leur identité raciale, rappelle Ajari, auteur de Noirceur et nourri de la pensée décoloniale et du panafricanisme, le risque n’est-il pas de donner raison aux racistes, en relégitimant l’existence des races, comme le suggère de son côté Maeso ? Mobilisant les textes de Fanon, Sartre, Ricœur et Merleau-Ponty, mais aussi de Fabien Eboussi Boulaga ou de Marcus Garvey, les deux philosophes mêlent leurs voix pour combiner un goût de l’universel et une volonté de construire des sujets politiques aux identités assumées. Cherchant à dépasser leurs différends, Maeso et Ajari puisent dans les mouvements éruptifs du racisme contemporain l’enjeu d’un nouvel humanisme à construire, associant du commun et du distinct. Où finira le racisme ?