Oser construire : Pour François Jullien
Une recension de Philippe Nassif, publié leLa publication de La Pensée chinoise dans le miroir de la philosophie est là pour nous le rappeler : François Jullien est un philosophe de premier ordre. Livre après livre, il affine un programme ambitieux : opérer un « détour » par la Chine, ce « dehors radical », afin de mettre en lumière les impensés de l’Occident. Ce travail de déconstruction prend désormais des allures de reconstruction, tant il parvient à donner à des notions délaissées, comme le souffle ou la fadeur, une densité conceptuelle inédite. Mais, au printemps 2006, sort un Contre François Jullien (Allia) de Jean-François Billeter, sinologue suisse, auteur d’une recherche passionnante autour du « corps-esprit » asiatique. Mi-rigoureux mi-lapidaire, il reproche à Jullien de présenter une altérité « mythifiée » de la Chine, en privilégiant l’idéologie des lettrés, là où lui penche pour « une unité de l’expérience humaine » en s’appuyant sur la pensée libertaire du taoïste Tchouang-Tseu.
On espérait voir se profiler un débat fondamental. Il n’en sera rien. Si Jullien a répondu – Chemin faisant. Réplique à *** (Seuil) –, il s’est contenté de rectifier les erreurs de Billeter sur son œuvre, de réaffirmer le sens de sa méthode et… de mépriser son adversaire en l’assimilant à un vulgaire tenant d’une « pensée faible » en guerre contre les géniales philosophies de « la pensée 68 » (Deleuze, Foucault) dont il est l’héritier. Bref, en faisant passer Billeter pour un émule « ressentimental » des philosophes médiatiques qui pécherait par « bon sens » et aurait la « naïveté » de croire en l’universel. Cette stratégie de défense est reprise dans un court ouvrage, Oser construire. Pour François Jullien, réunissant douze interventions aux accents parfois paranoïaques (Jullien est attaqué car c’est un penseur dangereux, nous explique-t-on). Soyons clair. Billeter a sans doute mal ajusté son coup. Sa critique de l’usage que fait Jullien de la Chine n’invalide pas la fructueuse entreprise philosophique de ce dernier. Mais la contre-attaque de Jullien et de ses amis ressemble trop à une opération de désinformation universitaire qui risquerait d’éloigner les lecteurs d’une pensée salutaire.
À partir d’une pratique personnelle – l’éducation du corps, de l’œil et de la main par l’art de la calligraphie chinoise –, Billeter a été amené à élaborer, dans L’Art chinois de l’écriture (Skira) ou Études sur Tchouang-Tseu (Allia), un travail pionnier d’explicitation du corps-esprit taoïste : ce n’est pas l’esprit mais bien plutôt le corps, les sens, les gestes qui sont au fondement de la connaissance. Chemin faisant, il découvre que l’hypnose de Milton Erickson, les intuitions d’André Breton ou les fulgurances de Friedrich Nietzsche (« le corps est la grande Raison ») ont déjà frayé dans cette direction. En bref, qu’un travail souterrain de la culture occidentale converge vers la pensée d’un Tchouang-Tseu. Si Jullien prolonge la French Theory des années 1970, Billeter participe à une démocratisation, par l’apprentissage du geste juste, de l’aventure exigeante des avant-gardes artistiques du XXe siècle. Mais de ça, l’université refuse d’entendre parler. Le rendez-vous entre le corps-esprit asiatique et le logos européen est une fois de plus ajourné. Pour encore longtemps ?
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