François Jullien : “Il faut apprendre à décoïncider plutôt qu’à s’adapter”
Et voilà que se dessine la perspective d’un troisième confinement. Avec l’apparition de nouveaux variants, plus contagieux, du Covid, conjugués avec les lenteurs de la campagne de vaccination et les effets de l’hiver, les scénarios optimistes qui envisageaient une sortie de crise pour le printemps s’obscurcissent. On se met à penser en termes d’années. Tandis que les étudiants n’en peuvent plus, et que les efforts fournis par les personnels de santé, comme par les professeurs ou les travailleurs du back office, touchent à leurs limites. À défaut de pouvoir nous projeter dans l’avenir, serions-nous donc réduits à nous adapter au jour le jour ? C’est contre cette fausse alternative que se lève le philosophe François Jullien. Selon lui, la crise révèle l’impasse éthique, politique et même existentielle dans laquelle nous a conduit, en Occident, notre rapport à l’action.
« Nous balançons entre deux options : modéliser coûte que coûte, en comptant sur la volonté pour faire entrer de force ce modèle dans le réel. Soit, à l’inverse, coller à la situation, tenter de s’y adapter au plus près, comme s’y essaie, dit-on, le gouvernement actuel… » Pour sortir de l’impasse, il propose une troisième voie : la décoïncidence. « Une politique de la décoïncidence consisterait à ne plus projeter sur l’avenir ni fin ni modèle, sans pour autant se contenter de s’adapter, en subissant au jour le jour les conditions imposées. » Concrètement ? « Décoïncider ne prétend pas rompre avec le cours de l’histoire, marquer un temps nouveau, mais tend à entrouvrir, par un écart dans son déroulement, des ressources qui n’y étaient pas décelées. » Stratégie « discrète » et « minimaliste », reconnaît le philosophe, qui consiste à « repérer la fécondité d’une situation » pour faire « mûrir » ce qui permet d’en sortir. Dans la situation où nous sommes, alors que les plans idéaux sont en défaut et que l’adaptation nous épuise, c’est peut-être en effet la seule stratégie qui vaille.
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