Oedipe reine
Une recension de Alexandre Lacroix, publié leMarcela Iacub vient d’écrire un livre incroyable. Plus précisément : elle vient de réécrire La Philosophie dans le boudoir, du Marquis de Sade, en reprenant le même dispositif narratif – l’initiation d’une oie blanche par une libertine consommée, qui se sert de trois hommes comme d’alliés voire d’instruments pour cette éducation –, à ceci près qu'elle a repris toute cette histoire du point de vue d’une femme. Comme chez Sade, le livre alterne la pornographie la plus crue et des conversations philosophiques enlevées. Il ne s’agit ni vraiment d’un essai, ni vraiment d’un roman, mais plutôt d’un jeu intellectuel, dont la radicalité décape le regard sur la sexualité.
« La femme qui connaît le secret de la méduse dépassera tous les hommes en capacité de plaisir »
Quel est l’enseignement à tirer d’Œdipe reine ? Deux grandes idées sont ici développées. La première est que la jouissance féminine a une dimension politique : « Chez une femme, le fait d’atteindre les sommets du plaisir sexuel est un événement politique de la plus haute importance. » Sans citer directement le rapport Hite, Marcela Iacub en combat avec véhémence la thèse majeure : rappelons que la conclusion du rapport Hite, paru en 1976 après que la sexologue Shere Hite a recueilli anonymement des témoignages de milliers de femmes aux États-Unis, en leur demandant de décrire leurs masturbations et leur perception des coïts hétérosexuels, était que les femmes avaient une jouissance clitoridienne, que les hommes ignoraient, voire bafouaient délibérément. Ce rapport documenté emboîtait le pas à un classique de la littérature féministe paru en 1968, Le Mythe de l’orgasme vaginal, d’Anne Koedt. Mais Juliette, l’héroïne de Marcela Iacub, n’a pas de mots assez durs contre ces théories féministes venues des puritains États-Unis : « On pense libérer les femmes par cette petite excroissance (le clitoris), en vérité on les enfonce dans l’ignorance et dans le mensonge. Depuis quelques décennies, l’Occident voudrait que notre vie sexuelle soit gouvernée par le clitoris. Le but étant non seulement d’enlever aux femmes un plaisir supérieur en intensité à ceux des hommes mais surtout de ne pas admettre que les plus grandes jouissances viennent des bites […]. Ce que notre culture appelle encore d’une manière fort archaïque “pénétration” au lieu de “dévoration” doit rester pour elle entaché d’une certaine infamie. » Dans une image qui revient au fil des pages, Juliette assimile la jouissance vaginale au réveil d’une méduse déclenché par le sexe de l’homme au plus profond du corps de la femme. En quoi tout cela est-il politique, davantage qu’organique ? Parce que la femme qui connaît le secret de la méduse dépassera tous les hommes en capacité de plaisir et pourra se servir d’eux comme de vulgaires jouets, d’esclaves. La jouissance est la clé de la puissance. « Une femme qui ne sait pas jouir, dit Juliette, qui ne connaît pas la méduse ne peut rien donner de grand. »
Une deuxième idée s’impose au fil d’Œdipe reine : l’une des forces du Marquis de Sade, on le sait, fut de montrer, en plein siècle des Lumières, que le discours rationnel n’était pas seulement un outil de libération mais aussi de domination. Chez Sade, le libertin est celui qui parle au nom de la Raison, et la rigueur de ses argumentations assoit son règne sur ses victimes. Tout se passe comme si Sade avait perçu, avant les autres, l’envers noir des Lumières. Chez Marcela Iacub, il y a aussi un détournement, non pas du discours rationnel – lequel n’est plus si actuel –, mais du discours psychanalytique. C’est en tenant un raisonnement psychanalytique, impeccable du point de vue théorique, que Juliette va amener son élève Sophie à commettre le pire. Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus intéressant dans l’ouvrage de Marcela Iacub (que je propose de lire en oubliant totalement les pesants démêlés de l’auteure avec Dominique Strauss-Kahn) : elle montre que la psychanalyse bien maniée peut être l’alliée idéale de la perversion et de la folie. Voilà donc un bouquin dont on pourrait dire qu’il est culotté, si ce n’était exactement le contraire.
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