L’Impensé. Inactualité de Parménide

Une recension de Martin Duru, publié le

Être ou ne pas être, telle est la question bien connue depuis Hamlet. Cependant, bien avant Shakespeare, c’est toute la métaphysique occidentale qui a commencé avec ce dilemme vertigineux. Au Ve siècle avant notre ère, le Grec Parménide rédige un Poème dont il ne reste plus que quelques fragments. Deux « voies » s’offrent à nous, soutient-il : soit nous affirmons l’existence de l’être, soit nous accréditons celle du néant. Parménide tranche, ne retenant que la première voie : « l’être est, et le rien n’est pas ». L’être est : désarmante tautologie ? Santiago Espinosa la prend très au sérieux dans les pas de Parménide qu’il analyse de près.

Développons : l’être est « ce qui existe », « l’ensemble des choses qui sont ici et maintenant », et c’est à ce réel qu’il faut se cramponner. Voilà un pied de nez aux philosophes qui ont déprécié la réalité brute pour chercher ailleurs la vérité, à commencer par Platon avec son opposition entre les mondes sensible et intelligible… Avec l’injonction parménidienne reprise par Espinosa, inutile de lever la tête vers le ciel des idées : l’être authentique est là, sous nos yeux, coïncidant avec ce qui apparaît aux sens, à la conscience. Au passage, l’auteur avance une thèse audacieuse : « son » Parménide est un penseur de l’apparence, donc, mais aussi du devenir, du changement – là où il est habituellement présenté comme un chantre de l’éternité, ne jurant que par l’être immuable… Comme quoi la métaphysique peut être un sport de combat ! 

L’ouvrage relie Parménide à d’autres philosophes ayant proclamé la souveraineté du réel ou de l’apparaître, tels Hume ou Nietzsche. Cette lignée aboutit à celui qui fut pour l’auteur un maître et un proche : Clément Rosset, décédé l’année dernière. Espinosa lui dédie son livre, le commente, et pour cause : Rosset a été un penseur infatigable du réel comme ce qui se donne immédiatement à voir et à vivre, comme ce qui n’a pas de « double ». De Parménide à Rosset, mais tout aussi bien de Rosset à Parménide, Espinosa voit la même éthique à l’œuvre, qu’il fait sienne : cet être qui est, il s’agit de l’accepter avec joie dans toutes ses dimensions, même les plus tragiques, en « une approbation inconditionnelle de l’existence ». Ainsi, ce livre n’est pas seulement une relecture décapante d’un philosophe antique, c’est aussi un hommage vibrant à l’ami disparu.

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