L’Erreur et l’Orgueil. Penseurs de la gauche moderne

Une recension de Antoine Rogé, publié le

S’est-on assez étonné que les intellectuels « de gauche » aient survécu au désastre du communisme soviétique ? À ceux qui rappellent qu’un aggiornamento a eu lieu dès l’après-guerre, le philosophe Roger Scruton rétorque qu’en profondeur, « l’erreur et l’orgueil » restent toujours l’apanage de la gauche intellectuelle, dans une continuité évidente avec les décennies staliniennes. L’universitaire britannique n’en est pas à son premier pamphlet contre la « passion de détruire » qui serait le ressort commun des Sartre, Derrida, Rawls, Habermas ou Badiou. Passion de détruire que Scruton leur applique à son tour ! Inspiré par Nietzsche et par Hegel, il pointe en eux tantôt le ressentiment nihiliste d’hommes faibles, avides de flétrir la grandeur des dominants, tantôt le délire de la belle âme, incapable de s’affirmer sans nier les institutions et normes existantes. En bon conservateur, il déplore pourtant lui aussi le règne du consumérisme, à ceci près qu’il n’attend rien de la politique et beaucoup de la religion pour contrer cette « déperdition du sens ». Par là pèchent, selon, lui les pensées de gauche : travaillées par l’idée d’un Autre oppresseur à éliminer ou à réduire au silence, elles ne peuvent que maquiller par une « Novlangue incantatoire » leur impuissance à formuler une alternative. Longtemps isolé dans le champ universitaire, Scruton n’est pas avare d’ironie à l’endroit de ses ex-collègues, et sa cruauté est un plaisir de lecture ! Car malgré (ou à cause ?) de ce point de vue partisan, l’ouvrage est aussi une véritable introduction à ce pan de la pensée du XXe siècle.

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