Le Réactionnaire authentique

Une recension de Frédéric Schiffter, publié le

« Si le réactionnaire n’a aucun pouvoir à notre époque, sa condition l’oblige à témoigner de son écœurement. » Voilà comment Nicolás Gómez Dávila défiait la domination et la censure du préjugé progressiste. Né à Bogotá en 1913, il y meurt en 1994. Sa formation intellectuelle et sa vie littéraire l’apparentent à Montaigne, Arthur Schopenhauer et Giacomo Leopardi – ses auteurs de prédilection. Un séjour en Europe avec son père, dans les années 1920, le dote d’un esprit cosmopolite. Une instruction confiée à des précepteurs, hellénistes et latinistes, fait de lui un connaisseur des grands textes théologiques et philosophiques. Une vie solitaire, dans sa maison de Bogotá, consacrée à la lecture et à la méditation, l’amène à écrire une œuvre gigantesque – des centaines d’aphorismes groupés en volumes intitulés Scolies, Nouvelles scolies, Autres scolies pour un texte implicite.

Avec cet art d’en dire le moins pour penser plus, Gómez Dávila affichait son refus d’être un intellectuel. Estimant que les « questions métaphysiques ne tourmentent pas l’homme afin qu’il les résolve mais qu’il les vive », il tenait pour lui que la seule cause digne d’un combat demeurait celle des mots, du sens qu’ils offrent à la méditation. C’est comme gardien du verbe qu’il se qualifiait lui-même de penseur « réactionnaire ». Non de « conservateur ». En cette époque « insurgée contre Platon », que peut-on conserver ? À mesure que la planète se couvre de déchets industriels et urbains, l’essentiel – la pensée contemplative, le goût des œuvres, la conversation – a fini, broyé, dans les casses du modernisme – les universités, les médias et les bureaucraties politiques.

Pour résister en vaincu au triomphe de la vulgarité langagière et spirituelle de la démocratie de masse, Gómez Dávila n’avait d’autre choix que le style. Peu lui souciait d’être compris : « Pour punir une idée, les dieux la vouent à enfiévrer les imbéciles. » Il « chouannait » seul, armé d’une plume trempée dans le métal dur et souple de l’ironie. L’impertinence fut le désespoir de sa politesse. Le lire serait une belle façon de la lui rendre.

Sur le même sujet
Article
2 min
Nicolas Tenaillon

Comment s’en servirEn racontant une histoire vécue parsemée d’anecdotes personnelles, vous toucherez affectivement votre auditoire. Ainsi, dans Une vérité qui dérange (2006), documentaire qui a sensibilisé au réchauffement climatique, Al Gore entame…







Article
23 min
Michel Eltchaninoff

Soucieux de contribuer à faire émerger des idées en réponse à la crise sociale et politique actuelle, Philosophie magazine a organisé sa version…

En direct de la démocratie

Article
2 min
Octave Larmagnac-Matheron

Le populisme est-il en train de creuser un nouveau fossé séparant non seulement le peuple et les élites, mais aussi, au sein de chaque camp, une tendance…

Le peuple contre la démocratie