Le charme des penseurs tristes

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Plutôt que de « penseurs tristes », il s’agit de « penseurs qui attristent », qui attristent ceux qui tiennent trop à leurs illusions vitales. Bien sûr, la plupart des auteurs qu’évoque Frédéric Schiffter ne font pas mystère de leurs humeurs : La Rochefoucauld évoque sa mélancolie, la marquise du Deffand son cafard, Cioran ses insomnies, Albert Caraco son dégoût. Mais la tristesse n’est pas une pensée, plutôt un vide qui appelle une mise en mots et en concepts plus inventive. Le charme de ce court livre, qui n’est pas triste, est de nous transmettre la jubilation de ces entreprises de démolition. Le penseur et le moraliste évitent l’esprit de système qui plaît tant au philosophe. Plutôt que de s’épuiser en démonstrations, ils s’adressent à ceux qui ont déjà compris. Ils peuvent donc s’adonner aux joies de la forme brève et, sur les ruines de la croyance la plus élémentaire en soi-même, faire jaillir une étincelle dans le langage. La jouissance de la forme et la probité de la démarche : telles sont les dernières valeurs de ceux qui ne souscrivent plus à aucune. « L’honnêteté du penseur ne consiste pas à édifier les hommes mais à les démoraliser tant leur vice le plus funeste est de croire en eux-mêmes », écrit Schiffter. De l’Ecclésiaste à Roland Jaccard, on trouve un air de famille à cette lignée de profonds sceptiques, ce qui corrobore leur thèse favorite du perpétuel recommencement. Seule l’intrusion de Socrate, en ouverture, aurait mérité quelques éclaircissements.

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