Histoire d'un mensonge

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Il faudra désormais tenir l’« expérience de Stanford » pour l’une des plus grandes supercheries scientifiques du XXe siècle. En août 1971, dix ans après l’expérience de son collègue Stanley Milgram sur l’obéissance à l’autorité, le psychologue américain Philip Zimbardo reconstitue une fausse prison à l’Université Stanford et recrute vingt-huit étudiants volontaires pour jouer les rôles de prisonniers ou de gardiens. Au bout de six jours, ces derniers sont devenus si sadiques que le dispositif est interrompu. Dès le lendemain, plusieurs évasions et mutineries sanglantes (dont celle d’Attica) ont lieu dans les prisons de Californie. Immédiatement, Zimbardo communique ses « résultats » et fait la une des journaux. Une célébrité qu’il entretiendra… jusqu’aux procès des soldats gardiens d’Abou Ghraib, en Irak, en 2004. Sa thèse (qui cependant varie) : n’importe qui, mis dans certaines situations de pouvoir, peut devenir un tortionnaire. Elle donnera du grain à moudre à ceux qui cherchent à déterminer des « dispositions » au mal chez certains. Jamais l’expérience de Stanford n’a été vérifiée et reproduite autrement que dans des reality shows. Thibault Le Texier a eu accès aux archives (vidéos de l’expérience, témoignages des cobayes) et compulsé les écrits de Zimbardo. Tout était là, nullement dissimulé : outre un protocole violant les règles de la scientificité et de la morale, Zimbardo a plus d’une fois menti sur ses résultats. C’est un manipulateur séduisant, pris entre ses convictions (proches de la contre-culture) et ses intérêts de carrière (en pleine guerre du Vietnam et de Corée, Stanford reçoit des mannes financières du complexe militaro-industriel). L’enquête, toujours balancée, tient en haleine.

Sur le même sujet
Article
3 min
Sven Ortoli

Des gens ordinaires peuvent-ils se transformer en bourreaux  À cette question, Stanley Milgram propose, en 1963, une réponse devenue canonique  l’obéissance à l’autorité est la clef de cette métamorphose. 53 ans plus tard, nul ne doute…




Article
3 min
Martin Duru

Le sociologue Loïc Wacquant décode la filiation de Pierre Bourdieu avec le philosophe.





Article
3 min
Cédric Enjalbert

Le philosophe américain Stanley Cavell, partisan du « perfectionnisme moral », est décédé à l’âge de 91 ans. Spécialiste du cinéma…

Mort du philosophe américain Stanley Cavell