Foucault va au cinéma

Une recension de Juliette Cerf, publié le

Platon doit se retourner dans sa tombe : des cours de philosophie ont lieu dans ces cavernes que sont les salles obscures ! Longtemps étrangers l’un à l’autre, le cinéma et la philosophie font aujourd’hui bon ménage. Un mot très tendance témoigne même de cette nouvelle union : la « cinéphilosophie ». Mais pourquoi et comment les philosophes s’emparent-ils du cinéma ? Aux yeux du sceptique américain Stanley Cavell, pas de doute : le cinéma reflète notre rapport au monde. Le septième art est le royaume des ombres ; le phénomène de la projection fait apparaître un monde absent. Il reflète les contours noirs et blancs de ce monde qui est là et qui n’est pas là, et que je ne pourrai jamais connaître. Le cinéma est ainsi une « image mouvante » du scepticisme, comme l’écrit joliment l’auteur. Il me projette au cœur de cette « dialectique de la déception et du désir », enjeu de toute la pensée de Cavell.

Le cinéma est le lieu d’une éthique. Issu des cours que le philosophe dispensait à Harvard, mettant en relation penseurs et films, Philosophie des salles obscures propose un voyage à travers l’histoire de la philosophie morale, de Platon à Rawls, en passant par Nietzsche et Emerson, ainsi qu’un éclairage sur le perfectionnisme (lire aussi p. 82). Comment devenir soi-même ? Comment devenir meilleur ? Ces questions sont au cœur des films que Cavell a regroupés sous un genre : la comédie du remariage. Un cœur pris au piège de Sturges ; La Dame du vendredi de Hawks ; ou encore Indiscrétions de Cukor sont traversés par un même ressort dramatique : un couple se sépare pour mieux se retrouver. Et vivre un bonheur nouveau…

Pour Michel Foucault, peu attiré par les œillades de Katharine Hepburn et Cary Grant, l’intérêt n’est pas de savoir si le cinéma nous rend meilleurs. C’est le miroir de l’histoire qu’il a, pour sa part, vu sur les écrans, cette « jointure entre le cinéma et l’archive d’une époque », comme l’écrit Dork Zabunyan dans Foucault va au cinéma, qui reprend les quelques textes et entretiens que le penseur a consacrés au septième art. S’il fut l’un des rares philosophes à avoir été adapté à l’écran – Moi, Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… devenu un film d’Allio –, Foucault, à la différence de Cavell ou de Deleuze, n’a jamais développé de pensée globale sur le cinéma. À travers les films de Pasolini, Duras, Schroeter ou Ferret, il évoque les traces d’un rapport au passé, à la politique, la folie, le corps ou la sexualité. Peut-on, par exemple, faire un film sans érotiser ou héroïser le pouvoir ? Quand il se change en héros de la philosophie, le cinéma, lui, ne cesse en tout cas de l’électriser de sa beauté ténébreuse.

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