Cinéma en 3D. Le réel se suffit bien
À vouloir jouer de la profondeur, le dernier gadget des studios hollywoodiens en fait perdre considérablement à ses superproductions. Il ne suffit pas de chausser d’encombrantes lunettes pour accéder à la réalité.
Le cinéma n’a pas davantage besoin de la 3D que le temps n’a besoin de l’espace. À force de découper l’image et d’ajouter la profondeur au plan, la 3D met un spectacle en concurrence déloyale avec la vie quotidienne. Voulez-vous voir un monde en 3D ? Voulez-vous en jouir sans vous donner la peine de payer votre place et d’enfiler des lunettes rigides et sales ? Regardez autour de vous. De même que les cartographes les plus méticuleux s’avisent que la plus parfaite des cartes est le pays lui-même grandeur nature, le monde extérieur est un extraordinaire effet spécial au talon duquel le cinéma (quand par la 3D il se met sur le même plan) ne pourra jamais prétendre.
Contrairement au héros de La Rose pourpre du Caire [de Woody Allen, 1985] qui sort de son film pour vivre avec sa fidèle spectatrice une histoire d’amour où le cinéma épouse le réel, les personnages en 3D ne crèvent pas l’écran mais le gonflent comme les cormorans font des bulles à la surface du mazout. Dans une scène parfaite de Citizen Kane, le spectateur voit, en une image, au premier plan un flacon de somnifères, puis Susan Alexander Kane endormie dans la pénombre, et enfin l’arrivée de son mari. Si le chef-d’œuvre d’Orson Welles était en 3D, on ne verrait plus rien, ni l’inquiète colère d’un époux tyrannique, ni l’agonie d’une femme épuisée par un homme qui la contraint à chanter tous les soirs sur la scène qu’il a construite pour elle, ni le souvenir palpable d’une tentative de suicide. En 3D, le temps passerait inaperçu, l’image ressemblerait à toutes les autres, les trois durées seraient dans trois dimensions, l’écartèlement des plans dénouerait l’entrelacs des émotions : « Plus on descend dans les profondeurs de la conscience, moins on a le droit de traiter les faits psychologiques comme des choses qui se juxtaposent » (Bergson). La 3D est un fruit sec : en isolant les objets, elle simplifie le monde dont, à l’inverse, une véritable connaissance en profondeur solidarise les phénomènes. De même que l’ignorance ne garantit en rien la liberté de penser, ce n’est pas en faisant sécession qu’un phénomène se donne pour ce qu’il est, mais en portant avec lui le souvenir de sa cause. La différence entre la 3D (ou le spectacle d’une profondeur qui vient à nous) et l’invention de la perspective (où le regard, acceptant d’être dupe, accède à la profondeur de champ sans jamais quitter l’espace univoque d’un plan) n’est donc pas seulement une mesure de la passivité ou de l’activité mais, plus profondément, l’abîme qui sépare l’emprise de la technique et le travail de l’esprit, le découpage du réel et la spiritualisation de la matière.
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