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Youcef et Aline Blidi, gérants du “Relais des Écrins”, à Saint-Christophe-en-Oisans (38). © Martin Legros

Youcef Blidi ou l’art de bifurquer

Martin Legros publié le 20 février 2024 5 min

« En vacances à la montagne la semaine dernière, j’ai fait la rencontre d’un homme dont le parcours tumultueux, voyou de grand chemin reconverti dans l’hôtellerie familiale, m’a donné à penser que le vrai changement (de vie comme de civilisation) est un art de la bifurcation plutôt que de la rupture. Laissez-moi vous soumettre cette hypothèse en compagnie de mon nouvel ami Youcef “le Breton”.

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C’est par une route escarpée que l’on accède à Saint-Christophe-en-Oisans (38), petit village d’une centaine d’habitants perché à 1500 mètres d’altitude à l’entrée du parc national des Écrins. Après avoir longé une route arborée le long du Vénéon, en provenance de Grenoble, on serpente le long de la falaise au travers d’impressionnantes épingles en évitant les gros cailloux qui se détachent régulièrement de la montagne et jonchent la route. Arrivé tout en haut, on pénètre dans ce hameau de bâtisses de pierre, de bois et de zinc, en contournant l’église et le vieux cimetière où sont enterrés les alpinistes tombés en montagne. C’est là, au Relais des Écrins, petite pension familiale doublée d’une épicerie bio repérée un peu par hasard, que nous allons passer une petite semaine de vacances, avec ma femme et mes enfants, pour faire du ski dans la station des Deux Alpes, de l’autre côté du glacier.

Sur la terrasse, trois drapeaux flottent fièrement au-dessus des tables : le drapeau breton, le drapeau algérien et le drapeau des pirates. C’est que le maître des lieux, Youcef Blidi, né à Bab El Oued, en Algérie, d’un père algérien et d’une mère bretonne, a grandi dans des foyers entre la Croix de Chavaux à Montreuil (93) et la Bretagne, avant de venir s’installer à Saint-Christophe en 2017, après deux séjours en prison pour des trafics en tout genre. Il y vit désormais avec sa femme, Aline, et ses trois enfants. “C’est eux qui m’ont sauvé”, explique-t-il d’entrée de jeu. Et les cinq soirées que nous avons passées, là, au coin de feu, à déguster les plats simples et savoureux mijotés par Aline autour d’un excellent vin local portant comme étiquette les loups du dessinateur Jean-Marc Rochette (“C’est un ami, il habite dans un village à proximité”) ne seront pas de trop pour prendre la mesure de ce “sauvetage”. La quarantaine, Youcef semble avoir eu plusieurs vies avant de s’être retiré ici. Confié très jeune à la Protection judiciaire de la jeunesse, après une série de “bêtises” et l’abandon de ses parents – “On était onze frères et sœurs, ma mère ne pouvait pas s’occuper de moi” – , il est ballotté de foyers sociaux en familles d’accueil, quitte l’école en classe de troisième menuiserie-plomberie… et tombe assez vite dans les trafics : vol de cartes bancaires depuis Londres (“On les distribuait aux migrants pour qu’ils puissent se loger et se nourrir”), trafic de lingerie qu’il revend sur les marchés (“Des tonnes de strings, c’est une de mes plus belles arnaques, celle-là !”), trafic de stupéfiants aussi (“J’ai suivi des gars qui avaient une livraison importante, et je suis parti avec la marchandise sans qu’ils ne s’en rendent compte”). Cela ne se serait sans doute jamais arrêté s’il n’avait eu un très grave accident de moto qui l’a plongé dans le coma. Il en parle comme d’une confrontation avec la mort qui lui a fait prendre conscience de ce qui importait vraiment. Aline, amour de jeunesse retrouvée par hasard au coin d’une rue, fut au cœur de cette métamorphose. C’est elle qui a eu le coup de cœur pour le Relais, découvert sur le site Leboncoin et acheté grâce à l’indemnité de l’accident. En moins de sept ans d’activité, ils ont trouvé le moyen de racheter plusieurs bâtiments du village, s’apprêtent à ouvrir une nouvelle épicerie et une salle d’exposition et à prendre en charge la gestion du gîte communal. Tandis que leurs enfants s’accomplissent à l’école et dans les activités sportives. Sans compter l’hélicoptère : Youcef suit des heures de formation de pilote pour pouvoir proposer bientôt à ses clients, avec le concours d’un associé, de survoler les glaciers avec un appareil parqué un peu plus haut dans le village…

En l’écoutant, médusés, nous raconter son itinéraire, j’ai d’abord pensé que Youcef était un voyou repenti qui avait décidé de changer de vie, après avoir eu peur de la perdre. Mais peu à peu, j’ai compris que son itinéraire était beaucoup plus subtil. Et porteur d’un sens proprement philosophique. Car s’il a si bien réussi sa “mutation”, s’il y trouve autant de plaisir et de joie, une joie qu’il communique autour de lui, c’est que loin d’avoir sacrifié ce qu’il était dans sa vie d’avant, Youcef mobilise l’intelligence et la vitalité qui ont toujours été les siennes et qui ont fait son succès, en tant que voyou, à développer ses nouveaux projets. Loin d’avoir changé de vie, en se pliant à une norme idéale que les autres lui auraient imposée du dehors, Youcef a bifurqué. Il a fait jouer sa débrouillardise, son sens des affaires, son audace, son sens du commun dans une nouvelle direction, en y trouvant davantage de jubilation.

Dans L’Évolution créatrice, Bergson parle ainsi du “choix” métaphysique que chacun fait de lui-même comme d’une “bifurcation” entre des tendances qui se côtoient en nous et se disputent nos suffrages. “Chacun de nous, en jetant un coup d’œil rétrospectif sur son histoire, constatera que sa personnalité d’enfant, quoique indivisible, réunissait en elle des personnes diverses qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant : cette indécision pleine de promesses est même l’un des plus grands charmes de l’enfance. Mais les personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et, comme chacun de nous ne vit qu’une seule vie, force lui est de faire un choix.”

Telle est la très belle leçon existentielle que je retiens de ma rencontre avec Youcef sur les hauteurs de Saint-Christophe-en Oisans : l’art de vivre est un art de la bifurcation, où il s’agit de se glisser dans la meilleure piste qui se dessine, au carrefour de ce que nous sommes et de ce que la vie nous offre. Un peu comme le ski. »

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