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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Illustration de globules rouges. © Anirudh/Unsplash

Votre sang dans mes veines

Clara Degiovanni publié le 22 février 2024 3 min

« Ces quelques mots s’adressent à vous, qui, entre deux rendez-vous, un week-end, ou en sortant du travail, avez un jour décidé d’aller donner votre sang. Au moment où vous avez pris cette décision, vous ne saviez pas à qui vous le confiez, ni à quoi il allait servir. Voici l’un des chemins possibles qu’ont pu emprunter ces globules dont vous vous êtes délestés : en l’occurrence, celui qui a mené jusqu’à mes veines, quand j’avais quinze ans.

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En cette année peu réjouissante de ma vie, la transfusion de sang était pour moi comme une sorte de shoot de vitalité. De tous les liquides qui m’étaient administrés par voie intraveineuse à l’époque (des choses visqueuses avec des noms étranges et des couleurs rose vif ou jaune fluo pas très engageantes), le sang était l’un des seuls qui avait un but immédiatement positif, dont je pouvais éprouver les bénéfices en direct. À l’inverse des autres traitements qui me soignaient en me diminuant, le sang venait restaurer – en partie – ma puissance d’agir.

J’arrivais exsangue et livide ; je ressortais les joues plus colorées, le pas moins chancelant. Après la transfusion, je me sentais plus dense, moins vaporeuse (le manque de plaquettes me donnait à l’inverse l’impression de flotter, de ne pas être concrète, ancrée, d’avoir perdu en solidité). Je me souviens avoir parfois éprouvé une forme de jubilation bizarre, comme si je sentais physiquement mon esprit se remplir, lui aussi, et frémir de se sentir à nouveau irrigué. Au risque de passer pour un vampire, je crois que ce sang gagné me rendait un peu euphorique.

En un mot, le sang d’un anonyme – peut-être vous ? – reconstituait mon intégrité. Grâce à un autre, je redevenais moi-même. Cette idée ne va pas de soi, tant la conception identitaire du sang a tendance à prévaloir dans nos imaginaires. Le lien de sang, le lien patriotique renvoient à l’idée selon laquelle le sang est un bien de propriétaire, quelque chose à soi, qui enclôt et renferme, crée des divisions et des différences, offre une opportunité de rejeter le “sang impur”. Quelque chose, dans cette vision du sang, relève du territoire soumis à la lignée, à la frontière. À l’occasion des débats récents sur “le droit du sang”, qui serait supérieur au “droit du sol”, je me rends compte que cette vision identitaire du sang est en train de gagner du terrain.

Or, cette idée trouve sa source dans une fausse intuition, ou en tout cas dans une intuition de “bien portants” : c’est “l’illusion d’indépendance hématologique”, analysée par le philosophe Bernard Andrieu dans l’ouvrage collectif Le Sang. Donner et recevoir (CNRS Éditions, 2016). En tant qu’ancienne malade, je confirme que cette conception selon laquelle le sang est toujours notre sang ne peut provenir que d’une personne en pleine santé, qui, forte de son indépendance et de sa vigueur, souhaite se protéger des mélanges et du risque de contagion.

Cette manière de voir le sang comme un bien à soi, qu’il ne faut pas souiller par le mélange, renvoie également à ce que le philosophe italien Roberto Esposito appelle une “politique immunitaire”, qui consiste à s’enclore, à se refermer dans une vie hermétique à toute circulation en étant “exemptés, exonérés, dispensés de ce contact qui menace [l’]identité”. Selon Esposito, “l’immunité” s’oppose à la “communauté”, qui consiste à l’inverse à se relier aux autres en s’acquittant d’une dette, en donnant une part de son bien pour celui de tous. Au même titre que l’impôt, le don du sang peut constituer cette dette qui permet de faire le lien entre l’individu et le collectif, sans enfermer chacun dans une autonomie factice, dans l’illusion d’être un individu absolu et indépendant, qui n’a besoin de rien ni de personne.

Ce don généreux et altruiste a permis à l’adolescente que j’étais non seulement de rester en vie, mais aussi de reconquérir son individualité. Preuve s’il en fallait qu’être vivant, être soi, être “entier”, ce n’est pas fonctionner en vase clos – entre consanguins – mais se nourrir de ces interdépendances vitales et bouillonnantes. »

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