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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Vue d’un immeuble à São Paulo (Brésil), le 19 mars 2020, où les résidents ne sortent plus à cause du Covid-19. © Victor Moriyama/The New York Times/Redux/Réa

Enquête

Voisin, voisine

Cédric Enjalbert publié le 08 avril 2020 12 min

Le confinement décrété par les autorités bouleverse le rapport, parfois compliqué, que nous entretenons avec nos voisins. Comment composer avec cet entourage dont nous redécouvrons l’existence ? Peut-on tirer de cette expérience inédite un enseignement plus qu’existentiel, politique ? Deux philosophes et un sociologue nous éclairent.

Comme beaucoup, je me suis penché au balcon pour applaudir, à 20 heures. J’ai vu pour la première fois les voisins du 6e, en face. J’ai salué le couple du balcon d’à-côté. J’ai noté l’absence de ceux du dessous. J’ai rendu un service à la nouvelle venue, au-dessus, en panne d’Internet, et nous avons donc échangé nos numéros. Le confinement crée des liens nouveaux, ceux que nos emplois du temps décalés et nos rythmes erratiques ne permettent habituellement pas. Aujourd’hui, et depuis un peu plus de trois semaines, tout est réglé avec une étonnante constance… au point qu’il est facile d’observer les habitudes de nos colocataires, avec un mélange d’entraide – nous vivons une expérience commune – et de suspicion – suivons-nous tous bien les recommandations ? D’un côté, les récits de soignants acclamés aux fenêtres, les personnes âgées de l’immeuble aidées par les plus jeunes et les exemples de solidarité édifiants. De l’autre, les copropriétaires retors, les angoissés – comme le rapportent nos confrères, des infirmiers ont été priés d’aller résider ailleurs par des voisins craignant la contamination –, les menaces et délations. « Je reçois énormément de messages par courrier, sur les réseaux sociaux, certains clairement pointent les mauvais comportements de leurs voisins. J’invite les dénonciateurs à renoncer à ces manières », exhortait ainsi François Rebsamen, maire de Dijon, à ses administrés, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.

La promiscuité contrainte réveille les haines et les rancœurs, elle ravive l’expérience de notre « insociable sociabilité » (pour citer Emmanuel Kant). Les chiffres en témoignent. Selon les études de l’Insee, 8,3 % des ménages vivaient en 2013 dans un logement surpeuplé (ne disposant pas d’au moins 18 m² par personne). Un pourcentage qui passe à 21 % des ménages à Paris. En 2016, 17,8 % des Français déclaraient vivre dans des logements trop bruyants, et une majorité souhaite accéder à un logement individuel (87 % selon un sondage de TNS-Sofres, en 2007). Mais seulement 56 % en bénéficient. Enfin, en 2018, 16 % des résidences principales se situent dans l’unité urbaine de Paris et 21 % dans une commune rurale. Bref, nous sommes concentrés et nous ne désirons pas l’être. Comme le rappelle Arthur Schopenhauer (1788-1860), nous sommes faits pour la sociabilité et, en même temps, nous ne sommes pas faits pour vivre les uns sur les autres. Dans Parerga et Paralipomena, le philosophe compare ainsi l’humanité à une société de porcs-épics : ils se rapprochent pour se tenir chaud, poussés par « le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur », mais, se resserrant, ils se piquent. « Leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les bonnes manières. »

 

Faire le mur

“On peut se mettre à sa fenêtre à 20 heures et applaudir le personnel soignant tout en restant froid envers son voisin immédiat”

Thierry Paquot, philosophe

On peut pourtant se demander si la politesse suffit quand nous sommes ainsi contraints de nous frotter plus que d’usage ? Pour des raisons sanitaires légitimes, la distance qui nous sépare de l’autre est désormais normée : 1 mètre minimum et aucun contact physique. Mais quelle est vraiment la bonne distance ? Comme le rappelle le philosophe Thierry Paquot, auteur d’un Dicorue. Vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains (CNRS Éd., 2017), « les attentions entre personnes, l’entraide, la solidarité, le coup de main, l’apéro, les cadeaux ordinaires ne dépendent pas de la proximité mais de la familiarité. Une situation de crise comme la guerre, des inondations, un séisme ou une épidémie, n’entraîne pas automatiquement des gestes de compassion, des paroles apaisantes et une attitude hospitalière. La bonne entente dans un quartier dépend des gens qui fraternisent entre eux indépendamment d’une crise. Là où règne un climat amical, les relations le sont aussi, peut-être un peu plus avec le Covid-19. Alors que là où l’inattention à autrui est manifeste, rien ne change. On peut se mettre à sa fenêtre à 20 heures et applaudir le personnel soignant tout en restant froid envers son voisin immédiat ! Toutes proportions gardées, les témoignages abondent, de la Seconde Guerre mondiale à la guerre en ex-Yougoslavie, de la guerre au Rwanda à la jungle de Calais, qui confirment que la gravité d’une situation collective n’améliore pas nécessairement les relations interindividuelles. » Et le philosophe de rappeler une étude menée dans les années 1970 par deux sociologues, Jean-Claude Chamboredon (qui vient de mourir le 30 mars 2020, à 81 ans) et Madeleine Lemaire. Ils avaient alors enquêté sur les grands ensembles d’Antony, dans le sud de la région parisienne. Leur article intitulé « Proximité physique et distance sociale : les grands ensembles et leur peuplement » est devenu canonique pour les étudiants de sociologie. Il concluait en substance que la dynamique sociale a sa logique propre, indépendante de l’urbanisme, que « la proximité spatiale n’efface pas la distance sociale. En d’autres termes, la proximité n’engendre pas la sociabilité. Le “chacun pour soi” ne mute pas, par miracle, en “tous ensemble”. Le voisinage est une culture qui passe par l’échange, la parole, du temps partagé. Il s’agit de vaincre la peur que nous avons de l’Autre, de repenser les frontières, dont parle si bien le philosophe Georg Simmel, et de comprendre que l’étrangeté de l’Autre est la meilleure garantie de notre différence. »

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Comme d'habitude...
On considère parfois que le temps est un principe corrosif qui abîme les relations amoureuses. Mais selon le philosophe américain Stanley Cavell l'épreuve du quotidien peut être au coeur d'un principe éthique : le perfectionnisme moral, qui permet à chacun de s'améliorer au sein de sa relation amoureuse.
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