Une histoire de la “pensée décoloniale”, épisode 4/5 : les questions (religieuses) qui fâchent

Une critique de la chrétienté

La religion qui intéresse le plus les décoloniaux est, quoi qu’on en pense, le christianisme. Le Groupe « modernité/colonialité/décolonialité » s’inscrit en effet dans la lignée de la « théologie de la libération », lancée à la fin des années 1960 par Gustavo Gutiérrez Merino. Elle prône un retour au message éthique et social de Jésus et des Évangiles : le service des pauvres, la distribution des richesses, la critique des inégalités. 

À la fois mouvement socio-politique et courant théologique, la théologie de la libération est très critique envers les institutions ecclésiastiques latino-américaines, héritières de la colonisation et de l’évangélisation forcée des populations indigènes. L’un des pères du décolonial, Enrique Dussel (née en 1934), est à la fois philosophe, théologien et historien de l’Église : depuis les années 1960, il produit une critique virulente de la puissance politique de la chrétienté, qu’il distingue du christianisme en tant que spiritualité. 

La religion est donc devenue l’un des éléments centraux des analyses sur la « colonialité du pouvoir ». Mais aussi des engagements décoloniaux ! À la suite de la thèse d’histoire d’Enrique Dussel sur L’Épiscopat latino-américain, institution missionnaire pour la défense de l’Indien (1504-1620), des chercheurs se sont également penchés sur les origines du discours décolonial à l’intérieur même du christianisme, dont le dominicain Bartolomé de las Casas (1474-1566) serait le pionnier.

Outre Dussel, on compte parmi les décoloniaux un certain nombre de théologiens catholiques ou de penseurs ayant été formés dans des séminaires. D’ailleurs, le pape François, né Jorge Mario Bergoglio, très influencé par la théologie de la libération, a remercié son fondateur « pour sa contribution envers l’Église et l’humanité, à travers son service théologique et son amour préférentiel pour les pauvres et les exclus de la société ». Le pape serait-il, lui aussi, un « catho-gauchiste » ?

Le judaïsme des décoloniaux

L’accusation principale qui pèse sur les décoloniaux en France reste celle d’antisémitisme. Les Indigènes de la République ne sont pas seulement profondément antisionistes, opposés à l’État d’Israël : ils font des Juifs en général des dominants, qui auraient trahi le camp des dominés en passant dans celui du capitalisme et de la République. Ils dénoncent aussi ce qu’ils estiment être une instrumentalisation de la Shoah : d’un côté, pour justifier la « domination coloniale d’Israël » ; et de l’autre, pour « stigmatiser et mettre au pas les les populations issues de l’immigration » en les accusant d’antisémitisme quand ils en relativisent l’importance ou l’unicité.