Hors-série “Le Seigneur des anneaux”

Une brève histoire de la Terre du Milieu

Sven Ortoli publié le 10 min

Le monde créé par Tolkien ne se limite pas aux deux petites années que dure l’intrigue du Seigneur des anneaux, mais s’étale sur des dizaines de millénaires. La cosmologie qu’il invente emprunte à la théologie chrétienne et aux légendes nordiques. Elle commence par un monde en forme de disque plat et se poursuit comme une sphère. Comme si Tolkien avait voulu récapituler dans sa cosmologie le chemin qui l’a conduit d’une cartographie à deux dimensions à un monde à trois dimensions.

 

La genèse selon Eru

« Il y eut Eru, le Premier, qu’en Arda on appelle Ilúvatar » : ainsi s’ouvre Le Silmarillion (nouvelle traduction de Daniel Lauzon) le texte « mythologique » le plus abouti de Tolkien, édité par son fils Christopher à partir d’innombrables brouillons, qui relate – du point de vue des Elfes – la création du monde (Ainulindalë) et l’histoire ancienne de la Terre du Milieu (Quenta Silmarillion et Akallabêth). S’il est marqué par de fortes influences païennes, l’univers imaginé par Tolkien est en fait monothéiste, avec Eru comme créateur : il « créa d’abord les Ainur, les Bénis, qu’il engendra de sa pensée, et ceux-là furent avec lui avant que nulle chose ne fût créée ». « La ressemblance phonétique […] avec la racine indo-européenne “er”, “mettre en mouvement” […] ne peut être aisément ignorée », note Verlyn Flieger.

 

La « Grande Musique »

Équivalents des anges, les quinze Ainur se mettent à chanter, comme pour apprivoiser leurs différences. « Chacun ne comprenait que cette part de l’esprit d’Ilúvatar d’où lui-même était issu, et le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. Pourtant une meilleure compréhension leur vint à mesure qu’ils écoutaient et les fit croître en accord et en harmonie. » Eru leur propose un « thème magnifique ». Ainsi commence la « Grande Musique ».

 

Le désaccord

L’un des Ainur, Melkor, ne se satisfait pas de son rôle dans l’harmonie d’ensemble. Il « était le plus doué des Ainur en savoir comme en puissance et il partageait les talents de tous les autres. Souvent, seul, il s’était aventuré dans les espaces du vide pour chercher la Flamme Éternelle, car il avait en lui un furieux désir d’amener à l’Être des œuvres de sa propre volonté ». Son orgueil désaccorde l’harmonie angélique, et introduit dès avant la création du monde, dans le tissu musical qui servira de fondement à la réalité, le mal. Au contraire, dans la Bible, « le mal est apporté de l’extérieur par Satan », l’ange déchu, après la création. Eru propose, alors, un second thème « au milieu de la tempête, semblable à celui du début et pourtant différent, qui gagna en puissance et en beauté nouvelle. Mais la discordance de Melkor s’enfle jusqu’au tumulte […], si bien qu’un grand nombre des Ainur, découragés, s’arrêtent de chanter, et que Melkor eut le dessus ». Un troisième thème est lancé, mais tourne au « complet désaccord ».

 

Le Monde comme écho de la musique

Ilúvatar interrompt la Musique. « Melkor, tu verras qu’on ne peut jouer un thème qui ne prend pas sa source ultime en moi, et que nul ne peut changer la musique malgré moi. Celui qui le tente n’est que mon instrument, il crée des merveilles qu’il n’aurait pas imaginées lui-même ! » Melkor – tel est précisément ce qui le ronge – n’est pas créateur. De la Grande Musique, Eru tire une « vision » : « Ils virent un Monde nouveau apparaître devant eux, une sphère au milieu du Vide, soutenue par le Vide, mais qui n’était pas le Vide. […] ce Monde dévoilait son histoire et il leur semblait le voir vivre et se développer. »

Tolkien, la carte et le territoire
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