Une brève et riante histoire de la propriété intellectuelle
Amateurs de « randonnée conceptuelle », ce spectacle vous plaira : l’étonnant Antoine Defoort, présente Un faible degré d’originalité... Figurez-vous : ce comédien diplômé en mathématique, confondateur de l’Amicale de production, est capable de chanter a capella la quasi-intégralité des Parapluies de Cherbourg sur scène. Ce n’est déjà pas si mal, sinon assez original. Mieux, il comptait en faire un numéro. Mais les droits lui ont été refusés, pour le meilleur. Car de cet échec providentiel, il tire une réflexion rieuse et rigoureuse sur… la propriété intellectuelle.
Il fallait une certaine audace pour s’atteler à une conférence publique sur le droit d’auteur, sans craindre de prendre ses pieds d’artiste dans le tapis juridique. Antoine Defoort, qui a déjà conçu un spa stoïcien pour cadres démoralisés et une histoire du monde depuis l’origine, n'en est pas à son coup d’essai. Il a donc pris son originalité à deux mains, qu’il agite pour dégager le « brouillard juridique » et la « brume philosophique » qui nimbent les subtilités du droit. Avec quelle sagacité !
De la naissance de l’imprimerie jusqu’à la dématérialisation de nos biens depuis l’avènement du numérique, en passant par l’effervescence du siècle des Lumières, Antoine Defoort parcourt d’un pas alerte l’histoire du copyright. Pour être juste, il distingue d’ailleurs cette notion anglo-saxonne de notre droit d’auteur né, lui, quelques décennies plus tard, en 1777. La question de la protection des auteurs émerge lorsque la reproduction des livres leur permet d’acquérir un public élargi. Ils gagnent leur statut de créateurs à part entière, et non plus seulement de médiateurs de la parole divine.
En France, Diderot, l’instigateur de l’Encyclopédie, est en première ligne de ce combat pour la reconnaissance de l’importance de la création. Puisqu’elle éduque les esprits en les sortant de l’obscurantisme, il convient de la soutenir. Comment? Simple, en rémunérant les auteurs. Banco, la première société française des auteurs et compositeurs dramatiques est fondée par Beaumarchais à la fin du XVIIIe siècle. L’élargissement de cet étroit chemin philosophique en « autoroute morale » – que plus personne ne conteste – est cependant semé d’embûches, qu’Antoine Defoort contourne, à coup d’anecdotes et d’histoires croustillantes. Où vous découvrirez l’incroyable saga des ayants droits de Maurice Ravel, la blague du micro (soumise au droit d’auteur jusqu’en 2133) et une foultitude d’idées sur les ressorts de la propriété intellectuelle.
Rival, non-rival
Chemin faisant, Antoine Defoort s’étonne des facultés philosophiques du législateur, capable de désigner en peu de mots l’essence d’une chose, ce qu’il faut par exemple « pour qu’un truc issu du réel devienne une œuvre de l’esprit ». Une idée ? La définition demeure assez sommaire. Est œuvre de l’esprit : une production qui a une forme tangible (par les sens) et qui présente au moins un faible degré d’originalité, lequel suffit à lui procurer une protection. Il reste que les frontières de cette définition faussement évidente sont amenées à fluctuer.
Antoine Defoort se penche enfin sur l’avènement de l’économie du partage, pour interroger la pertinence d’un droit hérité de la naissance de l’imprimerie, alors que nous sommes entrés de plain-pied, et à une vitesse mirobolante, dans l’ère numérique. Avec elle, adieu la rivalité des ressources. Pensez aux livres, aux albums ou aux films, autrefois reproduits en nombre limité, aujourd’hui indéfiniment partagés, devenus, autrement dit, des ressources « non-rivales ».
Le performeur emprunte ainsi, mine de rien, l’air de tout, à la réflexion stimulante de Jeremy Rifkin, développée notamment dans La Nouvelle Société du coût marginal zéro L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme. Il en explore les conséquences pour nous inciter à penser à nouveaux frais la notion de création, d’originalité, d’auteur, d’œuvre et de propriété, bouleversés par la quatrième révolution médiatique. Un faible degré d’originalité..., mais ô combien tonique et ravigotant.
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