Un relativisme conséquent

Victorine de Oliveira publié le 2 min

En 1949, l’Unesco lance un appel à contribution pour une série de brochures consacrées au racisme. Quand Claude Lévi-Strauss répond à la commande, seuls quelques spécialistes connaissent ses travaux. D’emblée, il s’attaque à la notion même de race. Il réfute les thèses de Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882), le père du racisme à prétention scientifique, qui a établi une inégalité des trois « races primitives ». Si, pour ce dernier, chacune dispose d’aptitudes particulières réparties selon ses propres préjugés, il craint bien plus leur métissage, facteur de dégénérescence, que leur simple cohabitation. Lévi-Strauss constate que le raisonnement de Gobineau l’amène à « se trouver enfermé dans le cercle infernal qui conduit d’une erreur intellectuelle n’excluant pas la bonne foi à la légitimation involontaire de toutes les tentatives de discrimination et d’exploitation ». Cette erreur est même « le péché originel de l’anthropologie », qui consiste à confondre une supposée caractérisation biologique des races avec la notion autrement plus relative de culture. La diversité des cultures humaines est au cœur de l’analyse de Lévi-Strauss. Selon lui, on ne peut classer les groupes humains sur une échelle de progrès décidée par le seul Occident. Il n’y a pas de « peuples primitifs », car chacun possède une histoire riche et complexe – elle n’est simplement pas toujours écrite. Chaque culture doit donc être jugée à l’aune du critère spécifique qui préside à son évolution. Si, pour la civilisation occidentale, la réussite est mesurée à l’aune de la puissance technique et énergétique, ce n’est pas le cas pour les autres cultures. En ce qui concerne l’adaptation à des climats extrêmes, les Eskimos ou les Bédouins battent aisément les Occidentaux. Pour l’exploration des rapports entre le monde physique et la pensée, l’Inde et l’Extrême-Orient devancent l’Europe. Bref, évaluer le progrès des civilisations dépend du référentiel que l’on choisit. La pensée de Lévi-Strauss révèle un antiracisme original : c’est un relativisme conséquent.

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