Treize : "Il y a des moments d'instabilité psychique qui sont des signes de bonne santé mentale"

L’artiste Treize, rappeuse et slammeuse, passe à l’écriture. Avec Charge, elle livre un témoignage poignant sur ses dix années passées en « pays psychiatrique ». Elle revient pour Philosophie magazine sur l’image sociale de la maladie mentale, mais aussi sur les difficultés qu’elle a rencontrées dans son parcours de soin : entre déshumanisation et rapports de domination.

  
Vous publiez Charge, un livre qui raconte vos dix ans de parcours en « pays psychiatrique », marqués par des phases régulières d’hospitalisation et par une très forte médicalisation. Comment avez-vous fait pour vous replonger dans cette période difficile ?  

Dans ce livre, j’ai voulu être au plus près de ce que je vivais à cette époque, qui a duré de 2006 à 2016. Pour me rappeler ce que j’ai vécu pendant ces dix années, j’ai choisi de mobiliser les souvenirs du corps. Je me suis par exemple remémoré la chambre dans laquelle j’étais quand je prenais les innombrables médicaments qui m’étaient prescrits. J’ai repensé physiquement, matériellement, à cette pièce qui était autour de moi et à mon corps, au milieu. Ce type de souvenirs me permettait d’être au plus proche de la personne que j’étais à ce moment-là, et qui était profondément démunie. Quand j’ai écrit mon livre, j’avais digéré beaucoup de choses psychologiquement, et j’avais aussi pu analyser théoriquement ce que j’avais vécu, mettre des concepts dessus : le rapport de domination, la violence psychiatrique notamment. Mais j’ai choisi de ne pas mobiliser ces termes, car je voulais parler avec les mots et les outils dont je disposais à l’époque.

Était-ce important, pour vous, de raconter votre vécu à la première personne ?

Oui, car je ne voulais pas adopter cette position de la narratrice omnisciente mais être dedans, de l’intérieur des murs. Si j'avais fait le récit avec une protagoniste en « elle », avec une narration de l'extérieur, j'aurais déjà créé une petite distance avec ce qui se passe. L'avantage du « je », c'est que la personne qui lit est exactement à l'endroit où je me trouvais à l’époque : dans la même pièce que moi, à l’intérieur du huis clos psychiatrique. J’ai d’ailleurs pensé le titre de mon livre, Charge, comme une charge de bélier qui défonce une porte pour dévoiler ce qu’il y a derrière, en coulisses.

"J’ai pensé le titre de mon livre, Charge, comme une charge de bélier qui défonce une porte pour dévoiler ce qu’il y a derrière, en coulisses" Treize

Face à la détresse psychique dans laquelle vous vous trouvez à cette époque, quel a été le rôle de l’hôpital psychiatrique ? Vous a-t-il malgré tout permis d’aller mieux, ou du moins, de trouver une forme de refuge ?

Je me disais au début que c’était un endroit où on allait s’occuper de moi et m’aider à prendre en main mon quotidien. Lorsque plus rien ne tient dans sa vie et que l’on est en grande souffrance, on peut penser que l’hôpital comme le lieu où l’on va déposer tout ce poids. Il y a aussi une certaine idée du soin qui fait qu’à l’époque, j’avais besoin d’y croire un peu. Mais je pense, avec le recul, que c’était une illusion complète. Pour ma part, l’hôpital n’a jamais agi comme un refuge. Il a été, au contraire, un environnement coercitif et violent.