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Mesure pour Mesure dans la mise en scène de Declan Donnellan © Sergei Yasir

Théâtre

Shakespeare: la justice contre l’équité

Cédric Enjalbert publié le 15 janvier 2015 4 min
Le metteur en scène britannique Declan Donnellan reprend avec une remarquable troupe d'acteurs russes sa lecture de “Mesure pour Mesure” sur la scène du Théâtre des Gémeaux, à Sceaux, jusqu'au 31 janvier 2015. Il restitue à ce drame shakespearien robuste ses nuances et sa logique; la pièce y apparaît comme une réflexion sur les paradoxes de la justice.

Mesure pour Mesure laisse rarement un souvenir impérissable: pièce cousue d’un gros fil blanc, multipliant les invraisemblances et les renversements spontanés, à la lisière de la comédie et de la tragédie, elle embarrasse plus d’un metteur en scène et a ennuyé plus d’un spectateur. Il fallait le talent et l’allant de Declan Donnellan pour rendre à cette pierre d’achoppement shakespearienne sa juste mesure.

Le metteur en scène britannique conscient de la difficulté –«une ambiguïté de genre inhérente au thème qui, en profondeur, est le sien»– reprend, et refait donc, au Théâtre des Gémeaux, la mise en scène d’un spectacle qu’il a monté il y a vingt ans. Deux décennies, soit le temps qu’il faut pour former une remarquable troupe d’acteurs russes, des sportifs de plateau de haut vol. Pour eux, les paradoxes de la justice ne sont pas des arguties de salon. Ils confèrent à cette pièce sa puissance et sa justesse. Pour tout dire, Mesure pour Mesure gagne une résonance et une pertinence supérieures dans la langue de Poutine.

 

Expérience de pensée

De quoi est-il question dans Mesure pour Mesure, écrite en 1604? D’une quasi-expérience de pensée sur la base d’une fiction politique. Un duc (Aleksandr Arsentiev), à Vienne, confie les clés de la cité et le pouvoir à son bras droit, Angelo (Andrei Kuzichev), tandis qu’il annonce sa retraite. Il enfile en réalité la tunique du moine, mais demeure dans la ville, attentif et curieux de la tournure que prendra la civilité en son absence.

Alors? Rien ne va plus. Angelo, zélé magistrat bien que parfaitement corruptible –il violente la none Isabella (Anna Khalilulina) dans l’espoir d’assouvir sa lubricité–, réactive d’anciennes lois pour châtier et châtrer des mœurs qu’il juge décadentes. Bref, il agit en tyran sans pour autant établir la justice. Les victimes? Claudio (Peter Rykov), condamné pour avoir consommé précocement son amour pour Juliette et la sœur de celui-ci, Isabella, venue implorer la grâce de son frère à Angelo.

 

Justice et équité

Declan Donnellan tire le meilleur parti de cette trame schématique. Il compose avec le talent du scénographe Nick Ormerod un univers sens dessus-dessous, un bas-fond où les fripons détroussent les saintes, où la cupidité supplante l’amour, où la justice condamne les justes. Il orchestre rapidement cette suite de malentendus iniques et tend avec brio le ressort pourtant distendu du drame. Ce faisant, il arme un équilibre instable entre la toute sainte Isabella, parangon de charité chrétienne, et le très zélé Angelo, son double inversé, ambassadeur de la rigueur sur Terre (deux excellents comédiens).

La justice balance entre ces deux caractères diamétralement opposés, dont René Girard, dans Shakespeare. Les Feux de l’envie (Grasset, 1990), tire une leçon. Tous deux incarnent des modèles de justice, l’une au Ciel et l’autre sur Terre. Si bien que le désir d’Angelo pour Isabelle pourrait naître, selon le philosophe, d’une rivalité dans l’ordre de la rigueur morale. Le dénouement advient avec le retour du duc aux affaires : le souverain tire son épingle du jeu en brisant cette relation de rivalité «par le haut», opposant le juste milieu à la rigueur du jugement, l’équité à la justice. L’équité, cette «justice qui dépasse la justice», selon les mots d’Aristote.

 

Shakespeare et Machiavel

Le philosophe Philippe Raynaud, professeur de sciences politiques, poursuit cette analyse de «l’équité shakespearienne», d’après Mesure pour Mesure :

«La condition de l’équité́ est donc la souveraineté́ du prince; le modèle de l’équité shakespearienne est platonicien et impérial: c’est comme Roi que le juge peut s’affranchir de la loi et la lèse-majesté royale reste à ses yeux, sinon le seul crime impardonnable, du moins le moins aisément pardonnable. […] L’essentiel, pour ce qui nous intéresse, est que l’équité est interprétée dans un modèle platonicien dans sa forme et aristotélicien dans ses buts (le politique royal peut s’émanciper de la rigueur de la loi, pour atténuer la portée moralisatrice de celle-ci) et que tout cela conduit à une image subliminalement machiavélienne du pouvoir.»

Declan Donnellan parvient à dessiner cette image philosophique et politique avec nuance, sans un moment qui pèse, sans un effet de manche ou un soupçon de pédanterie, mais avec l’assurance d’une lecture serrée et brillante, qu’il mène sans cesse entre les lignes et derrière les mots, transposant Shakespeare pour aujourd’hui, mais sans infidélités. Avec la troupe moscovite, il donne du théâtre une vision élevée, à la fois charnelle et réflexive. Là, les corps se démènent pour dégager, dans la sueur, un élixir spirituel limpide qu’on appelle, au théâtre comme à l'université, l’interprétation. 
 

Informations pratiques
Mesure pour mesure de William Shakespeare
Mise en scène de Declan Donnellan
Scénographie de Nick Ormerod
Lumières de Sergei Skornetsky
Musique de Pavel Akimkin
Chorégraphie d'Irina Kashuba
Assistant à la mise en scène: Kirill Sbitnev
Avec: Aleksandr Arsentiev, Yury Rumyantsev, Andrei Kuzichev, Alexander Feklistov, Peter Rykov, Alexander Matrosov, Ivan Litvinenko, Nicholay Kislichenko, Igor Teplov, Alexey Rakhmanov, Anna Khalilulina, Elmira Mirel, Anastasia Lebedeva
 
Spectacle en russe surtitré
Durée : 1h40
 
Théâtre Les Gémeaux
49, avenue Georges-Clémenceau - Sceaux
Du vendredi 9 au samedi 31 janvier 2015. Du mercredi au samedi à 20h45, le dimanche à 17 heures.
Réservations : 01 46 61 36 67
Tarifs : 10 à 27€

 

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