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Capture d’écran du nouveau clip de Stromae. © Stromae - Santé (Official music video)

Pop philosophie

“Santé !” Quand Stromae trinque pour les travailleurs invisibles

Clara Degiovanni publié le 19 octobre 2021 4 min

Dans sa nouvelle chanson, Santé !, le chanteur belge Stromae fête son grand retour en « levant son verre à ceux qui n’en ont pas » : ceux qui frottent, brossent et cuisinent pendant que les autres festoient. La chanson désigne plus largement toutes les professions déconsidérées et épuisantes, qui fabriquent des « insomniaques de professions » n’ayant plus le temps ni  « le cœur aux célébration ». 


 


La vidéo de Santé ! la nouvelle chanson de Stromae.

En donnant à entendre la fatigue et le mépris que vivent ces travailleurs, Stromae nous renvoie à l’expérience vécue qui se cache derrière le concept de « travail invisible ». Mais qu’est-ce qui est « invisible » dans ce travail ? La tâche accomplie ? Ou les travailleurs eux-mêmes ? Et comment permettre la reconnaissance de ces emplois et de ces travailleurs ? Quelques pistes philosophiques. 

 

Le travail invisible, répétition infinie d’une même tâche

« Dans une heure, j’reviens, qu’ce soit propre, qu’on puisse y manger par terre », chante Stromae dans son nouveau titre Santé !, faisant entendre la voix de ceux qui méprisent ces travailleurs. Une heure : c’est donc le temps qu’il laisse à la personne désignée pour faire son travail. Pourtant, celle-ci devra sans doute recommencer, car la saleté finit toujours par revenir, surtout lorsque certains accélèrent le processus. « Rosa, rosa, quand on fout le bordel, tu nettoies. Et toi, Albert, quand on trinque, tu ramasses les verres », poursuit le chanteur. 

Pour Hannah Arendt, c’est pourtant l’activité de nettoyage qui incarne peut être le mieux ce que signifie « travailler ». Car, selon la philosophe, le travail a justement cette particularité de ne jamais pouvoir se transformer en produit fini, que l’on peut tenir entre ses mains. C’est ce qui le différencie de l’« œuvre », faite pour durer et pour être transmise à la postérité. L’invisibilité du travail vient donc précisément de cette dimension immatérielle, éphémère et répétitive. C’est la raison pour laquelle le travail tel qu’il est pensé par la philosophe n’a rien de glorifiant : il « ressemble bien peu à de l’héroïsme », écrit-elle dans la Condition de l’homme moderne (1958). « Frotter, frotter, mieux vaut ne pas s’y frotter, frotter », conclut ainsi Stromae. 

 

Le travail invisible, c’est le travail humilié

« Quoi les bonnes manières ? Pourquoi j’f’rais semblant. Toute façon, elle est payée pour le faire. » La violence des paroles de la chanson montre bien ce rapport de supériorité que l’on peut entretenir avec ces métiers dits « subalternes ». 

La philosophe Simone Weil, qui a expérimenté pendant plusieurs années la réalité du travail à l’usine, souligne les mécanismes de domination qu’il sous-tend. « Celui qui obéit, écrit-elle (…) se sent inférieur non par accident mais par nature », tandis qu’« à l’autre bout de l’échelle sociale, on se sent de même supérieur ». Le problème, c’est que « ces deux illusions se renforcent l’une et l’autre », explique Weil dans ses Méditations sur l’obéissance et la liberté (1937). C’est donc aussi l’expression d’une domination perpétuelle qui invisibilise, non le travail, mais les travailleurs eux-mêmes.

 

Le travail n’est pas invisible, il est invisibilisé

« Appelle-moi ton responsable, et fais vite, elle pourrait se finir comme ça ta carrière », poursuit Stromae, qui rappelle donc aussi la distance que l’on creuse entre ceux qui commandent et ceux qui exécutent. C’est bien ce travail concret et fatigant, celui des « champions des pires horaires », qui est de plus en plus dévalorisé au profit des emplois de gestionnaires ou de chefs d’entreprise. Pour autant, on peut considérer que l’invisibilité n’est pas essentielle à un certain type de travail, mais créée historiquement et politiquement. 

C’est ce que suggère l’économiste Pierre-Yves Gomez, dans son livre Le travail invisible : enquête sur une disparition (2013), qui envisage l’invisibilisation du travail et des travailleurs comme un processus récent. En cause notamment, la financiarisation de l’économie qui a contribué à « dissocier nos revenus des efforts pour les créer », nous faisant entrer dans l’ère de « l’économie abstraite ». « Le travail réel » ou « vivant » qui consiste à « mettre les mains à la pâte » a donc graduellement perdu de sa valeur… Mais, selon Gomez,  il est en notre pouvoir d’inverser la tendance. 

 

Comment désinvisibiliser ce travail ?

« Brosser, brosser, tu pourras toujours te brosser, brosser. Si tu ne me respectes pas. » La phrase de Stromae sonne comme une réponse bien méritée (quoique fort polie) à celui qui manque de respect à ces travailleurs. Mais au-delà du respect, désinvisibiliser le travail, c’est reconnaître la valeur réelle, c’est-à-dire la nécessité,  qui se cache derrière ces tâches. 

Comme le rappelle Arendt, « la lutte quotidienne dans laquelle le corps humain est engagé pour nettoyer le monde » est aussi une manière de « l’empêcher de s’écrouler ». Nous l’avons bien vu pendant le confinement : les emplois « invisibles » font tenir le monde. Un mouvement de reconnaissance s’est ainsi observé lorsque nous nous sommes mis à applaudir pour les travailleurs « en première ligne » qu’étaient les infirmiers et les caissiers. 

 

Mais suffit-il d’encourager et de « lever notre verre à ceux qui n’en ont pas » pour en finir avec l’invisibilisation de leur travail ? Peut-être faudrait-il en premier lieu valoriser économiquement leur salaire et leur condition de travail, afin qu’ils aient eux aussi l’argent, le temps, la santé et « le cœur aux célébrations ». 

Les travailleurs invisibles mis à l’honneur par Denis Maillard
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