Représenter l’irreprésentable

Annie Le Brun, propos recueillis par Cédric Enjalbert publié le 2 min

Eugène Delacroix, “La Mort de Sardanapale” (esquisse), 1826

« Cette exposition est un défi qui tourne autour de l’irreprésentable du désir et de sa violence qui est le propos de Sade. Bien sûr, il n’a rien inventé mais il est le premier à tenter de le penser. En déclarant : “La cruauté n’est autre chose que l’énergie de l’homme que la civilisation n’a point encore corrompue”, il constate ce dont l’histoire de l’art n’a cessé de témoigner mais en travestissant la violence nue qui y est à l’œuvre. Seulement, il en devient le révélateur, au moment où les grandes constructions religieuses et morales sont ébranlées et avec elles les différents modes d’expression. On ne peut pas parler d’influence directe, car jusqu’en 1959 la diffusion de son œuvre aura été liée aux aléas de l’édition clandestine. Il n’en reste pas moins que ces écrits interdits circulent beaucoup en Europe. On sait ainsi qu’un exemplaire de Justine a appartenu à Goethe, tandis que Baudelaire s’est nourri de l’univers sadien. Flaubert s’y réfère souvent dans sa correspondance – il l’appelle le “Vieux”. Aucun peintre ne s’en réclame directement, même si souvent Goya pourrait illustrer son propos. Quant à Delacroix, comment ne pas voir dans La Mort de Sardanapale une possible évocation des Cent Vingt Journées de Sodome, alors que le texte va en rester inconnu tout au long du XIXe siècle ? Sa proximité avec Baudelaire y est sans doute pour quelque chose. Mais son œuvre est traversée de thèmes sadiens, au point qu’on va y voir la couleur se transformer en tourbillon de férocité.

Expresso : les parcours interactifs
En finir avec le mythe romantique
Cendrillon a 20 ans, elle est « la plus jolie des enfants ». Mais pas pour longtemps. Beauvoir déconstruit les mythes romantiques et les contes de fée qui peuplent encore aujourd'hui l'imaginaire collectif.
Sur le même sujet


Entretien
15 min
Cédric Enjalbert

Essayiste et poète, proche des surréalistes et spécialiste de Sade, Annie Le Brun n’a cessé de défendre la vertu subversive de l’imagination, avertissant contre sa mise au pas et nos asservissements volontaires. Alors que s'est tenue…




Article
3 min
Cédric Enjalbert

Dans “L’Échappée”, la cinéaste Valérie Minetto dresse le portrait intellectuel de la poète et critique Annie Le Brun, aidé par l’acteur Michel Fau…

À la poursuite d’Annie Le Brun, au cinéma

Article
6 min
Martin Duru

Pour Annie Le Brun, le Marquis décape la pensée rationnelle en l’enracinant dans les passions du corps. Dévoilant les impasses des Lumières, il…

Sade, un recours contre l’obscénité

Article
4 min
Cédric Enjalbert

Pour Annie Le Brun, la part sombre des Lumières ouvre la pensée occidentale à une nouvelle forme de sensibilité, hantée par le « noir ». Elle raconte comment la nuit a envahi la lumière.