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Une mère pleure la mort de son fils tué au combat, le jour de son enterrement, dans le cimetière de Lviv, le 1er avril 2022. © Pierre Terraz pour PM

Dossier / Qu’est-ce qui nous rend courageux ?

Reportage en Ukraine : l’étoffe des héros

Pierre Terraz publié le 05 mai 2022 14 min

Comment les Ukrainiens font-ils pour résister ainsi à leur envahisseur ? C’est avec cette question, que nous sommes nombreux à nous poser, que notre reporter Pierre Terraz s’est rendu dans le pays dévasté. Pendant dix jours, entre Lviv et Kiev, il a partagé le quotidien de soldats, mais aussi de civils, hommes, femmes et enfants aux vies bouleversées par la guerre, afin de comprendre ce qui fait tenir un peuple face au déferlement soudain de la violence.

 

On a tellement parlé des morts de Boutcha que l’on en a oublié les vivants. Pourtant, en entrant dans la ville dévastée aux rues jonchées de cadavres, de canons calcinés et de mines antipersonnel, c’est bien cet homme sur son vélo ou ce passant promenant son chien qui me paraissent détonner dans le paysage. Même dans l’horreur, la vie poursuit péniblement son cours.

Irina, 72 ans et quatre dents en or, pousse une amie qui ne peut plus marcher sur un chariot en bois franchement lourd. Elles vont faire leurs courses au village voisin – « un peu trop loin » jugent-elles –, où le magasin de première nécessité a eu le mérite de rouvrir immédiatement après le départ des occupants. On dit ici que l’endurance des babouchkas ukrainiennes est légendaire. Mais la scène amène quand même à s’interroger : pourquoi ces deux femmes n’ont-elles pas fui comme des millions d’autres ? Pourquoi rester dans des lieux désormais si difficiles à habiter ? La réponse me laisse pantois. « Parce que j’ai un chien, je ne pouvais pas le laisser tout seul. Et je crois en Dieu et en sa protection », sourit Irina, qui jure avoir envoyé paître les soldats russes le jour où ils ont toqué à sa porte. Un peu plus loin, Nikolai, la soixantaine, coiffé d’une chapka, continue inlassablement de nettoyer son jardin des débris de la guerre. « J’aime mon village, la maison que j’y ai construite, je ne me vois vivre nulle part ailleurs. C’est tout. Donnez-moi une arme, la prochaine fois, je les chasserai moi-même », assène-t-il. Sont restés les anciens, les démunis, ceux qui ne peuvent plus se déplacer seuls. Et dans un mélange de mépris et de pudeur, leurs drôles de phrases se dressent en réalité comme les derniers remparts de la dignité sur des lèvres tremblantes. Sans doute appellent-elles aussi à une réflexion sur la résilience. Le patriotisme et l’idée de liberté existent, mais ne sont-ils pas de moindres moteurs de résistance que l’amour d’un chien ou d’un jardin, bien plus tangibles, le jour où l’on se trouve confronté à la barbarie ? Si le courage n’est pas venu aux Ukrainiens par la ferveur idéologique, quels en sont les ressorts concrets ?

 

Les « guerriers » de l’ombre

Mon voyage commence à Lviv, ville clé de l’Ouest ukrainien pour l’effort de guerre, qui voit défiler convois humanitaires et militaires venus d’Europe, avant que ceux-ci ne soient distribués partout dans le pays. Dans sa banlieue, Oleksander va devoir se reconstruire avec la conviction que sa vie s’est jouée sur un coup de chance. Il est 19 heures et le soleil tombe ce samedi-là, lorsque le forgeron de 31 ans est propulsé au sol par l’explosion d’une roquette. « Nous nous attendions à cela, on nous avait prévenus. Ce n’était qu’une question de temps puisque notre atelier est situé à côté d’un entrepôt militaire, une cible stratégique », explique-t-il.

© Pierre Terraz

Les soldats du 72e régiment d’infanterie signent un drapeau ukrainien avant de le brandir dans les rues de Rusaniv, à l’est de Kiev, après sa libération, le 8 avril 2022.

Pourtant, comme ses six collègues, Oleksander n’a jamais songé à arrêter son activité. « Au premier jour de la guerre, nous nous sommes demandé à quoi nous servions désormais. J’ai alors signalé à l’armée qu’on était prêts à faire n’importe quoi pour les aider. Ils nous ont d’abord demandé de construire des herses antichars, puis des plaques pour les gilets pare-balles, puis d’autres équipements… On a appris sur le tas, grâce à Internet. Par le biais d’appels sur les réseaux sociaux, des gens ont aussi commencé à nous approvisionner en pièces de métal qu’ils avaient chez eux. Certains arrivent parfois avec leur voiture, qu’ils utilisent au quotidien, nous disent de la démonter et de prendre dessus tout ce dont on pourrait avoir besoin. » De fil en aiguille, l’homme en vient à réparer des véhicules militaires endommagés sur le front que lui amènent des soldats. C’est cette activité qui a failli lui coûter la vie. « Depuis une semaine, je travaillais jour et nuit à réparer un fourgon. Je devais le rendre le lendemain, donc j’ignorais les sirènes d’alertes anti-aériennes pour finir à temps. Je mesurais le toit de l’engin lorsque j’ai entendu un bruit dans le ciel, comme un avion. En levant la tête, j’ai vu la roquette arriver, puis j’ai été propulsé au sol. En me relevant, je n’entendais plus rien, du sang coulait de mes oreilles et de mon nez. Je suis allé me réfugier au sous-sol de l’atelier et j’ai attendu trois heures sous d’autres explosions. Je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à ce véhicule que je devais réparer. C’était devenu trop important, il devait être utilisé pour évacuer les blessés du front. En sortant, il était encore là. J’ai été submergé par la joie. Je me suis remis à travailler, et le lendemain, les soldats sont venus récupérer le fourgon qui est immédiatement reparti pour la ligne de front. C’était le premier jour depuis le début de la guerre où je me suis couché heureux. J’ai compris ce soir-là ce dont j’étais capable et quelle était ma véritable valeur. »

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