Raffael Simone : “Les socialistes proposent toujours le sacrifice”
Le socialisme est en déclin en Europe, car il défend le renoncement et l’austérité face aux séductions de l’abondance. Un combat qui se heurte à l’esprit du temps, selon l’essayiste italien Raffaele Simone.
Philosophie magazine : Comment expliquez-vous le reflux de la gauche et celui du socialisme en Europe ?
Raffaele Simone : À mon sens, la difficulté dans laquelle se trouvent les forces de gauche en Europe ne se résume pas à quelques revers électoraux, mais elle tient à une métamorphose des mentalités, à un changement de paradigme culturel. Nos sociétés ont adopté les valeurs du consumérisme et de l’abondance. C’est vrai en Occident, mais aussi dans ce qu’on appelait autrefois le tiers-monde, c’est-à-dire la Chine, l’Inde, le Brésil et une partie de l’Afrique : dès que ces pays se rapprochent de la modernité, ils l’envisagent comme un accès massif à la consommation. Les pauvres – le « prolétariat » – désirent désormais s’enrichir et consommer comme les riches, et non s’unir dans des luttes collectives. Or que propose l’idéal socialiste ? Il s’oppose à cette logique consumériste pour prôner le renoncement, le retour au minimum. Qu’il s’agisse de renoncer à une partie de ses revenus en payant des impôts pour financer la redistribution, de consacrer une partie importante de son temps à l’éducation et à la culture, de freiner la production et la consommation pour protéger l’environnement, les socialistes vous proposent toujours et encore le sacrifice. Le projet socialiste est donc à la fois coûteux et austère ; pour employer un terme ironique, il s’inscrit dans la perspective d’un djihad permanent, mot qui signifie « effort ». Cet effort, plus personne n’est prêt à le consentir. Par ailleurs, la droite, qui défendait traditionnellement une ligne austère – parce qu’elle était liée à un certain corpus de valeurs morales, religieuses et nationalistes, avec de fortes connotations sacrificielles – a pris le parti de la consommation, du luxe, de la dépense effrénée et de la pollution. En ce sens, l’Italie a été à l’avant-garde : avec Silvio Berlusconi, on a commencé à voir s’affirmer cette droite du divertissement, de la frivolité, de la communication télévisuelle, du mépris de l’art et de la culture, de la quête effrontée de la richesse et de la jouissance. Cette modification du Zeitgeist, de l’esprit du temps, n’a pas été assez bien diagnostiquée par les analystes politiques, car elle est multiforme. Au niveau des passions, par exemple, la pudeur a disparu au profit d’une impudicité généralisée, qui pousse chacun à exhiber ses réalités les plus intimes. Au niveau cognitif, les médias visuels et les images, en général, ont pris le pouvoir sur le discours. La compassion ne se manifeste plus guère qu’à travers des organisations humanitaires… Ce sont donc les dimensions les plus profondes de l’existence qui sont affectées par le triomphe du paradigme consumériste.
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