Pourquoi nous n'étudions plus comme avant ?

Raffaele Simone, propos recueillis par Chiara Pastorini publié le 6 min

Pour le linguiste italien Raffaele Simone, l’école est en bonne voie de ringardisation, débordée par la culture Web et par l’accès instantané à un kaléidoscope d’images. Au risque de nous faire replonger dans les ténèbres ?

Vous faites une distinction importante entre ce que vous appelez l’« endopédia » et l’« exopédia ». Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

Raffaele Simone : J’ai inventé ces termes car ils m’aident à distinguer les formes d’apprentissage traditionnelles et actuelles. Par « endopédia » (construit sur les racines grecques endo-, « à l’intérieur », et -pédia, « éducation »), j’entends la situation où l’école est, concrètement, une enceinte (plus ou moins fermée selon les époques). Le savoir qui y est dispensé n’est accessible qu’au sein de cette enceinte. L’endopédia est régie par un principe d’autorité fort, parce que ce qui est transmis est garanti par une série de vérifications historiques ; elle a néanmoins le défaut d’être close sur elle-même, au point d’être parfois obtuse. Le terme « exopédia » (d’exo-, « extérieur ») désigne, en revanche, une nouvelle réalité de l’éducation qui s’est mise en place à partir des années 1980, avec le début des youth cultures et de la mondialisation. D’un côté, l’école a commencé à perdre de la légitimité durant cette période ; de l’autre, nous avons assisté à l’émergence d’une « culture “jeune” » – dont les ingrédients principaux sont la musique, la valorisation de l’expérience directe du monde, l’éros précoce, la drogue, le voyage, le rejet des savoirs traditionnels, etc. – largement relayée par les nouvelles technologies de la communication. Ce phénomène contient un puissant facteur anti-école : la formation, la Bildung, se fait dehors, pas dedans ! Si les jeunes continuent à aller à l’école par obligation, ils considèrent que les savoirs qu’elle dispense sont « lourds et ennuyeux », très éloignés du réel et moins attrayants que ce que ce dernier peut leur apporter. Le propre de l’endopédia est d’être lente et dépourvue de rythme, tandis que l’exopédia est rapide et trépidante, comme le monde. Moi, je pense en revanche que l’apprentissage de choses compliquées et des disciplines avancées requiert un soin, une lenteur et une répétition que l’exopédia ne peut assurer. Quelqu’un devient mathématicien en allant à l’école, et non en s’imprégnant de la culture « jeune ». Cette vision peut dériver du fait que ma génération est décalée par rapport au monde des jeunes, je l’admets ; mais la plainte sur la dégradation qualitative de l’apprentissage est continue dans tout l’Occident.

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