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Société

Quelle est notre véritable date de naissance ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 09 juillet 2023 5 min

Tous les Sud-Coréens ont rajeuni fin juin ! Le mode de calcul traditionnel de l’âge en Corée, qui prend en compte le temps de la grossesse, a en effet été aboli. Cet ancien système n’est pourtant pas si absurde, car la date de naissance peut correspondre à différents moments de la vie.


 

Avant son abolition, le système en vigueur en Corée du Sud avait une étonnante manière de mesurer l’âge : à la naissance, le nourrisson était réputé avoir déjà un an – une année correspondant, de manière très approximative à la durée de la grossesse (neuf mois et non douze). Autre bizarrerie : au passage de la nouvelle année du calendrier, chaque nouveau-né gagnait immédiatement un an supplémentaire. Un bébé né le 31 décembre aurait donc eu, avant le changement du système d’âge, deux ans le lendemain. Le système, autrefois également utilisé au Japon, est une exception dans le monde.

Mystère de notre venue au monde

Le système d’âge traditionnel coréen, si étrange qu’il puisse paraître, est au fond révélateur d’un double mystère de notre venue au monde.

D’une part, notre existence commence avant la date qui sera inscrite sur notre carte d’identité. D’autres que nous en attestent, à commencer par notre mère qui ressent la première les mouvements involontaires du fœtus. Mais d’autre part, « l’instant » où nous commençons à être est frappé du sceau d’une indétermination radicale. Indétermination pour nous-mêmes, d’abord : nous n’assistons évidemment pas à notre naissance, nous ne nous en souvenons pas ; quelque chose nous porte à la conscience « en deçà de l’initiative, en deçà d’un présent désignable et assumable », écrit Levinas. Nous ne faisons que ressaisir a posteriori l’événement inaugural : « naissance latente – jamais présence », « antériorité antérieure à toute antériorité représentable », qui inscrit en nous un écart.

D’autres que nous, témoins de notre venue au monde, nous aideront à construire ce récit de nous-mêmes par lequel nous nous efforçons de nous rejoindre. Mais précisément : pour eux aussi, le commencement se perd, comme le dit Ricœur, dans une « antériorité inassignable ». Et d’évoquer l’« aporie dans laquelle se perd toute enquête portant sur la naissance, le commencement ». Sans doute un jour ces autres prennent-ils conscience de ce que notre existence a commencé. Mais cette prise de conscience – par une échographie, par la sensation d’un mouvement – est toujours rétrospective. Nous découvrons toujours après coup qu’une vie a commencé.

Insaisissable origine

Le problème est redoublé car, dans la naissance, ce n’est pas tant la venue à l’être d’un organisme qui est en jeu, que celle d’une subjectivité. Naître, c’est d’abord naître pour soi, dire « Je ». Cette conscience qui dit « Je » émerge dans l’entrelacs de la chair, à partir de l’obscurité d’une dépossession originaire qui précède toute initiative. Quand l’être humain commence-t-il vraiment à savoir qu’il est lui-même et pas un autre ? Quand il demande à téter ? Qu’il répond à son prénom ? Qu’il parle ? Ou qu’il a son premier souvenir, marqueur d’une conscience qui se reconnaît comme telle dans la durée ?

La naissance échappe à toute attestation. Quelque chose, dans le passage du non-être à l’être, a toujours déjà commencé avant que nous prenions conscience du commencement. Heidegger évoque « l’abîme où tremble et est contenu tout ce qui se prépare à survenir ». Cet abîme est moins une chose qu’un mouvement ; mouvement qui ne se donne jamais directement à voir mais porte toute chose dans l’ouverture du monde depuis le renfermement, le secret d’une matrice obscure qui échappe à toute quantification. Dans cette perspective, on pourrait dire que toute origine est un mythe.

De l’existentiel à l’éthique

Les systèmes, toujours arbitraires, de décompte de l’âge sont comme la conséquence de cette indétermination existentielle. De ce point de vue, il n’est pas de « bonne » manière de mesurer l’âge : il n’y a que des conventions qui, prenant appui sur différents repères, consacrent le fait qu’une existence a déjà débuté. Ne cherchant absolument pas, avec ses approximations grossières, à évaluer précisément le temps, l’ancien système coréen avait le mérite d’assumer cette indétermination.

Le système français est plus ambigu. Nos régimes légaux ne disent rien ou presque de cette vie indiscernable qui précède l’instant de la naissance ; et pourtant, nous reconnaissons indéniablement que l’existence dès avant la sortie de l’utérus. Nous parlons du fœtus comme un bébé, bien qu’il n’ait juridiquement pas le statut d’une personne. Nous leur organisons des funérailles quand, par malheur, il meurt avant le terme : avant 6 mois de grossesse, aucun acte n’est établi par l’officier d’état civil, mais les parents peuvent tout de même faire une demande officielle d’inhumation.

La reconnaissance tacite d’une vie pré-natale est encore la raison pour laquelle le délai d’avortement est limité : jusqu’à la fin de la 14e semaine de grossesse en France, alors même que le foetus n’acquierera de reconnaissance légale comme personne qu’à partir du sixième mois. Entre les deux, une zone floue, grise, où l’on considère que la personne à naître est comme en cours d’émergence. De fait, le système coréen a contribué à rendre plus difficile la reconnaissance du droit à l’avortement. Mais il n’a pas empêché une tolérance à l’égard de l’avortement et, in fine, la levée de l’interdiction en 2020 par la Cour constitutionnelle.

Utilité, mais pas vérité de l’âge

De part et d’autre, on ressent une gêne : confrontées à l’indéterminable, les conventions sont toujours insatisfaisantes… Impossible de convertir un processus continu, du reste infiniment variable d’un cas à l’autre, en une série d’étapes délimitées, clairement identifiables. La convention ne peut sortir de cette aporie. Ce qui ne la rend pas moins importante. À l’indétermination d’un commencement singulier, la convention substitue la détermination d’un critère commun permettant de situer approximativement les vies les unes par rapport aux autres, selon le moment de leur développement.

En établissant des catégories d’âges – nourrisson, enfant, adolescent, adulte, etc. –, la règle rend possible un traitement social plus adapté des existences, fondé non sur l’apparence ou le « vécu intime » mais sur une mesure objective du vieillissement biologique. La convention d’âge a une utilité. Mais elle ne dit jamais la « vérité » de l’âge : il lui faut au contraire reconnaître, pour mieux jouer son rôle pratique, qu’elle est bordée par des zones grises où l’être et le non-être s’enroulent (la naissance comme d’ailleurs la mort), et qu’elle doit par conséquent rester ouverte à des remises en question comme à des débats.

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