Quel avenir pour la monnaie ?

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, une question : que deviendra la monnaie dans un monde de plus en plus dématérialisé, où les cryptomonnaies et les transactions sans contact seront la règle plus que l’exception ? 

Eswar Prasad : “Il va y avoir des changements passionnants sur les marchés financiers”

Quel est l’avenir de la monnaie ? C’est la question qui est posée à l’économiste américain Eswar Prasad, auteur récemment de The Future of Money: How the Digital Revolution Is Transforming Currencies and Finance (Harvard University Press, 2021), dans un entretien fleuve retranscrit sur le site du Washington Post. À ses yeux, la pandémie a accéléré le glissement vers les paiements sans contact et les transactions dématérialisées, au moment même où les cryptomonnaies connaissent un boom. Mais lesquelles de ces monnaies digitales dureront ? Pas le Bitcoin, pour Prasad, qui est un simple phénomène spéculatif trop volatil en raison de sa rareté. Il envisage deux grands types de monnaies pour le futur : les « monnaies digitales de banque centrale », déjà expérimentées au Japon, en Chine ou en Suède d’une part ; et, d’autre part, les « stablecoins » privées, qui « contournent le problème de la valeur instable en s’adossant aux monnaies fiduciaires » comme le dollar. Là où les cryptomonnaies se présentaient comme une alternative permettant de dépasser les monnaies fiduciaires, les stablecoins permettent d’envisager une forme de complémentarité. Ce qui ne signifie pas que les autres cyrptomonnaies disparaîtront, mais qu’elles ne serviront sûrement jamais à tous les échanges quotidiens. 

Gaël Giraud : “Si le remboursement de la dette communautaire européenne s’opère aux dépens des budgets des États, nous continuerons d’être étranglés”

Parler d’argent, c’est presque immanquablement parler du problème de la dette des États – sujet récurrent de discours politiques. Cette dette a considérablement augmenté avec la crise du Covid-19, et l’horizon de son remboursement commence désormais à peser sur les épaules des décideurs publics. Pourtant, souligne l’économiste Gaël Giraud dans un entretien pour L’ADN, « c’est une dette que nous nous devons à nous-mêmes », à nos banques centrales. Il est donc urgent de desserrer l’étau : « Si l’on s’obstine à tenter de la rembourser, cela va donner lieu à des plans de rigueur budgétaire absolument catastrophiques – ce que le gouvernement Macron s’apprête à appliquer. Ce serait un non-sens économique. » Et de revenir sur une solution polémique : « Annuler la dette consisterait en une simple opération d’écriture informatique qui ne spolierait personne ». Une nécessité, de son point de vue, pour ne pas étouffer l’économie et pour investir de manière conséquente dans des projets d’avenir : « Investir massivement dans la transition écologique », par exemple.

Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre : “Il faut réencastrer la monnaie dans la société, et la mettre à l’abri de l’accaparement par le secteur bancaire ou par l’État”

La position de Gaël Giraud peut être rapprochée de la « théorie monétaire moderne », qui cherche à « remettre la monnaie au service du bien commun » et de la « volonté “publique” », en faisant des banques centrales un instrument politique de l’État, et non plus une entité indépendante. Mais pour les économistes Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, il faut aller plus loin. Dans un essai paru dans la Vie des idées, ils proposent la création d’une forme de « monnaie volontaire démocratique », pour « compléter les formes existantes de création de monnaie ». « La monnaie émise serait libérée de toute contrepartie financière (ni remboursement à effectuer, ni titre à posséder pour y avoir accès) et serait donc permanente. Ce serait un don monétaire. Le secteur bancaire et financier n’en serait plus le seul bénéficiaire direct. » Mais elle ne serait pas non plus « la créature de l’État », car « l’expression de la volonté publique n’est pas confondue avec celle de l’État. » « Cette monnaie serait directement distribuée aux ménages, aux entreprises », etc., afin de « donner à la société les moyens de sa transformation écologique et sociale. » Sa gestion même serait démocratique, sous-tendue par un « dialogue entre toutes les parties prenantes (banque centrale, trésor, parlementaires, ONG, scientifiques, etc.) ». Utopique ? Peut-être. Mais il faut un peu d’imagination pour transformer le monde !