Que ferez-vous face au lion ?

Peut-on se préparer à être courageux ?

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Oui, La vertu est une discipline / Sénèque (4-65)

« Y a-t-il un courage « de tous les jours » ? Qu’apprend-on dans l’épreuve quotidienne, confronté à l’imprévisibilité des événements ? À mener une vie bonne, répondent Sénèque et les stoïciens. Car pour ne pas souffrir, nous n’avons d’autre choix que de nous conformer à l’ordre du monde et d’en accepter les règles. Cette primauté de la vertu fonde la philosophie morale de Sénèque, qui écrit dans La Vie heureuse que « le souverain bien, c’est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu ». Le courage pour les stoïciens, c’est donc la capacité de rester imperturbable face à ce qui nous arrive. Le stoïcisme étant avant tout une discipline, l’exercice du courage, comme celui des autres vertus, est une pratique qui s’apprend et s’entretient. Le courage n’est pas une qualité innée de l’âme humaine, c’est une disposition développée au contact de la nécessité, tout au long de notre vie. Ainsi, Sénèque note dans De la providence que « les flots de l’adversité ne transforment point une âme courageuse, elle demeure la même et donne aux événements sa propre teinte ; car elle est plus forte que les accidents extérieurs ». On ne se prépare pas au courage dans la tranquillité et, pour l’âme courageuse, « toute adversité est un exercice ». Mieux, une âme humaine qui n’a jamais connu d’épreuve est incapable de faire preuve de courage, car elle n’y est pas préparée. Comme le remarque Sénèque, « le courage languit sans adversaire : sa grandeur, sa force, son énergie n’éclatent tout entières que dans l’épreuve de la douleur ». Compromis dans un complot, Sénèque l’homme politique se confond finalement avec le philosophe : il accorde ses actes et sa pensée, en ne se dérobant pas devant le sort. Condamné par l’empereur Néron, dont il fut le précepteur, à l’exil ou à la mort, Sénèque prend acte du destin et l’accepte avec « honneur ». Il se tue, lui qui, bien avant Montaigne, déclarait qu’il fallait « apprendre à mourir » et faisait du suicide l’un des ultimes choix de « l’homme libre ».

Non, nos décisions sont imprévisibles / Vladimir Jankélévitch (1903-1985)

Qui peut savoir à l’avance s’il fera preuve de courage le moment venu ? Selon Vladimir Jankélévitch, c’est moins une qualité qui s’apprend qu’une manière d’agir qui ne se prévoit pas, un acte qui rend possible la réalisation de toutes les autres vertus. Comme l’écrit le philosophe dans Les Vertus et l’Amour, le courage est la première d’entre elles, celle qui rend « les autres vertus efficaces et opérantes ». Ainsi, il dit du courage qu’il est « moins une vertu lui-même que la condition de réalisation des autres vertus. Sincérité, justice ou modestie, elles commencent toutes par ce seuil de la décision inaugurale ». Le courage se rapporte à une prise de décision dans l’instant, à un choix qui fait advenir un « irréversible ». Nous tranchons et décidons de nous engager dans l’action, et c’est en cela que nous faisons preuve de courage : en nous saisissant d’une situation donnée, à un moment particulier, en allant au-devant de l’instant pour s’en emparer. « Les décisions courageuses, écrit Jankélévitch, se prennent toujours plus ou moins dans la nuit d’un aveuglement momentanée, et pour ainsi dire ; en fermant les yeux, même délibérées, elles ont toujours, à la dernière minute, l’aspect d’une option aventureuse et d’un pari à pile ou face. » Si le courage relève de la prise de décision, dire que l’on peut se préparer au courage signifierait que l’on pourrait prévoir quelles seront nos décisions, indépendamment des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Or c’est absurde, car notre vie n’est jamais écrite à l’avance. Jankélévitch fait ainsi du courage une contingence, une possibilité parmi d’autres, soulignant le caractère indéterminé des comportements humains… et notre fondamentale liberté ! Il n’est pas une caractéristique de l’âme humaine qui perdure dans le temps. Il ne se possède pas mais s’actualise. C’est un mouvement continué. Ce n’est pas parce que l’on a été courageux un jour qu’on l’est devenu. Car, comme le rappelle Jankélévitch, « le juste est aussitôt arrivé que parti ».