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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Le Moskva, croiseur de missiles guidés de la marine russe, retourne dans le port de Sébastopol, en Crimée, après avoir suivi des navires de guerre de l'Otan en mer Noire, le 16 novembre, 2021. © Alexey Pavlishak/Reuters

Guerre en Ukraine

Pourquoi le naufrage du croiseur Moskva est-il si symbolique ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 15 avril 2022 3 min

Cela restera comme un symbole très fort de la guerre en Ukraine : le Moskva, navire de tête de la flotte russe en mer Noire a fait naufrage. À la suite d’un tir de missile, affirment les Ukrainiens, qui en ont immédiatement fait un symbole de la force de leur résistance. À cause d’un incendie, n’a pas tardé à répliquer la Russie pour minimiser l’événement.

Pourquoi les représentations de naufrage nous frappent-elles tout particulièrement ? Éclairage avec le philosophe Hans Blumenberg.

 

« Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage », aurait dit Lao-tseu. Le naufrage est indissociable de la volonté déployée par l’homme pour conquérir, par l’entremise de son ingéniosité technique, un espace qu’il ne peut habiter naturellement : la mer. L’homme est un terrien, il a besoin, pour vivre, de s’appuyer sur la fermeté d’un sol. La mer, chaotique, désordonnée, imprévisible, en est l’envers de cet espace terrestre. L’homme qui s’y aventure doit prendre appui sur un ersatz de sol – sur un esquif (navis en latin) construit de ses mains, moins solide que le sol terrestre, et qui menace toujours de se briser (frango). S’élancer sur les flots, c’est prendre le risque d’y sombrer sans laisser de trace car, écrira Victor Hugo dans Les Travailleurs de la mer, « la mer est patente et secrète ; elle se dérobe, elle ne tient pas à divulguer ses actions. Elle fait un naufrage, et le recouvre ; l’engloutissement est sa pudeur. »

 

La contagion de la terre par la mer

Le philosophe allemand Hans Blumenberg (1920-1996) s’est intéressé tout particulièrement à notre perception du naufrage, dans son essai Naufrage avec spectateur. Il distingue plusieurs jalons dans l’évolution de nos représentations en la matière :

Pour les penseurs de l’Antiquité, la vie maritime est une « transgression des frontières ». Terre et mer se font face comme deux puissances hétérogènes. Il est alors possible de regarder le naufrage en mer depuis la sécurité de la terre, avec un certain apaisement. C’est ce que dira le poète épicurien latin Lucrèce dans De la nature des choses : « Il est doux, quand les vents troublent au loin les ondes, de contempler du bord sur les vagues profondes un naufrage imminent. Non que le cœur jaloux jouisse du malheur d’autrui  ; mais il est doux de voir ce que le sort nous épargne de peines. »

Néanmoins, constate Blumenberg, nous assistons peu à peu à une contagion de la terre par la mer. « Nous sommes embarqués », affirmait déjà Pascal dans ses Pensées. De plus en plus, la nature chaotique de la mer ronge la terre, et ébranle son assise, sa stabilité. L’homme est partout un naufragé en potentiel. Plus aucun lieu n’est sûr. Schopenhauer dira avec le plus de force cette annulation de la distance entre spectateur et naufragé dans Le Monde comme volonté et comme représentation : « La vie elle-même est une mer pleine d’écueils et de gouffres ; l’homme, à force de prudence et de soin, les évite, et sait pourtant que, vînt-il à bout par son énergie et son art de se glisser entre eux, il ne fait ainsi que s’avancer peu à peu vers le grand, le total, l’inévitable et l’irrémédiable naufrage. » La fascination romantique pour le naufrage s’enracine dans cet effondrement de la Terre. L’homme, où qu’il aille, s’avance désormais dans un univers sans repère, sur une mer infinie, sans confins. Le sol se dérobe sous ses pieds.

 

Un monde entraîné dans les abysses

Le naufrage du navire amiral russe Moskva montre combien cette résorption de la distance entre terre et mer n’est pas seulement symbolique, mais très concrète. La guerre moderne se livre aussi bien sur l’une que sur l’autre, dans l’horizon d’une continuité. Si la guerre en Ukraine semble essentiellement terrestre, elle se prolonge sur les flots. Ce sont (très probablement) des missiles aériens tirés depuis la terre qui ont atteint le vaisseau, et provoqué son naufrage.

De ce point de vue, le naufrage du Moskva n’est pas exclusivement maritime. Il est peut-être davantage l’image d’un monde où les bornes entre les espaces hétérogènes s’étiolent, et entraînent ce faisant un déchaînement sans bornes de la violence guerrière. La violence contemporaine, celle de la montée aux extrêmes, se tient dans l’horizon d’un anéantissement possible, aussi radical que l’engloutissement anonyme de l’océan. Sous le naufrage s’en tient un autre : les abysses de la cendre, où le monde contemporain menace toujours de s’abîmer.

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Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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