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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Fotografierende/Unsplash

Peut-on s’extraire de son propre corps… avant la mort ?

Martin Legros publié le 17 avril 2023 5 min

C’est une expérience troublante qui vous est sans doute déjà arrivée : avoir l’impression, un bref instant, que vous avez quitté votre propre corps. Où est-on quand on s’absente à soi-même ? Et cette “sortie de soi” nous donne-t-elle un avant-goût de la mort ? Loin de pouvoir être réduits à un spiritisme New Age, ces moments nous ouvrent à ce que le philosophe Pierre Hadot appelait les “exercices spirituels” et dont il suivait la trace dans toute l’histoire de la philosophie.

 

« — Des fois, j’ai l’impression de revenir d’ailleurs dans mon propre corps. Je n’étais plus là, et soudain, j’y suis revenu. Ça fait un drôle d’effet. Un peu comme si je reprenais le contrôle d’un corps étranger et que j’éprouvais mes sensations pour la première fois. C’est troublant, parce que je me dis que je vais peut-être repartir dans la minute qui suit… et ne pas revenir.

Quand mon fils Simon nous a fait part de cette expérience, l’autre soir autour de la table familiale, la discussion s’est soudain animée.

— Ah oui, a enchaîné ma femme Myriam, dans certaines circonstances, j’ai aussi l’impression de m’extraire du lieu où je suis. Mais je ne suis pas ailleurs, hors de moi ; je suis recluse au plus profond de moi-même et, depuis ce refuge, les impressions du dehors m’arrivent comme de très loin.

— En cours ou dans le métro, ça m’arrive très souvent, a confirmé Valentine. Et ce qui est bizarre, c’est qu’on se voit alors agir d’en haut.

— J’irais plus loin, s’est risquée Naé. Quand je pars, j’ai l’impression d’être dans un vide intersidéral. Ça me fait penser que ma vie est peut-être régie par des personnes qui sont en dehors de moi, comme si j’étais le personnage d’un jeu vidéo et que quelqu’un dirigeait mes mouvements de l’extérieur.

— Moi, ça se passe à l’intérieur de moi-même, a objecté Joa. Comme s’il y avait deux personnes qui se parlaient dans ma tête. Parfois, il m’arrive même de dire tout haut à l’une des deux voix : “Mais tais-toi !” Et mes potes qui m’entendent me prennent alors pour une folle.

À ce moment-là, je me suis risqué à demander à l’assemblée s’il y avait un lien, à leurs yeux, entre ces petites expériences déroutantes… et la mort. Est-ce qu’ils se représentent la mort comme une sortie de soi qui serait, elle, définitive ?

— Quand je pense à la mort, a répondu Naé, ce n’est pas une fin définitive. Pareil pour ma naissance : je n’ai pas l’impression d’être née au moment où je suis sortie du ventre de ma mère. Et j’aurai une vie après ma mort comme j’ai eu une vie avant ma naissance. J’ai cette conviction très forte que je ne vais pas mourir quand je mourrai.

— La part rationnelle de mon esprit rejette l’idée qu’il y aurait quelque chose après la mort, a reconnu Valentine. Mais une petite voix me dit qu’il y a peut-être quelque chose, au bout du trou noir, qui ne ressemble ni au paradis ni à l’enfer, qui est plus flou. La mort n’est peut-être pas une fin mais un passage.

— La mort n’est une fin que pour ceux qui ont fini ce qu’ils ont commencé avec leur première vie, a suggéré Joa. Pour les autres, cela continue d’une manière ou d’une autre.

— Ça voudrait dire, s’est étonnée Naé, que la vie ne s’arrête que pour ceux qui lui ont trouvé un sens, qui ont fini leur tâche… Tandis que ceux qui continuent à vivre seraient des perpétuels insatisfaits qui n’arrivent pas à terminer leur quête.

— La mort n’est même pas rien, a opposé, conclusif, Simon. Tu peux imaginer le rien, pas la mort, puisque tu n’es plus là pour en faire l’expérience.

En suivant au plus près le fil de cette discussion, et de ces désaccords, où il avait été question d’expériences paranormales et même de réincarnation, j’aurais pu me dire que nos enfants étaient contaminés par les théories New Age du corps-esprit et de la traversée du “tunnel” de la mort. Or, j’ai bien plutôt eu le sentiment que chacun cherchait à donner forme à sa pensée la plus personnelle à partir d’une expérience concrète. Je me suis alors souvenu de ce que Pierre Hadot appelle les “exercices spirituels”, ces exercices que proposaient à leurs disciples les philosophes de l’Antiquité – épicuriens, stoïciens, cyniques, etc. – pour leur apprendre à s’ouvrir aux questions fondamentales de l’existence et à adopter un mode de vie plus éclairé. Parmi ces exercices, Hadot en retient trois en particulier : le regard d’en haut (s’extraire de son corps pour se regarder depuis le ciel), la concentration sur soi (se replier en soi-même pour s’examiner) et l’expansion de soi (se fondre dans le dehors pour adopter la perspective du Tout).

“Dans toutes les écoles qui le pratiquent, explique Hadot, cet exercice de la pensée et de l’imagination consiste finalement, pour le philosophe, à prendre conscience de son être dans le Tout, comme point minuscule et de faible durée, mais capable de se dilater dans le champ immense de l’espace infini, et de saisir en une seule intuition la totalité de la réalité. Le moi éprouvera ainsi un double sentiment, celui de sa petitesse, en voyant son individualité corporelle perdue dans l’infini de l’espace et du temps, celui de sa grandeur en éprouvant son pouvoir d’embrasser la totalité des choses” (Qu’est-ce que la philosophie antique, Gallimard, 1995). Et il ajoute : “La prise de conscience de soi, que ce soit dans le mouvement de concentration vers soi ou dans le mouvement d’expansion vers le Tout, requiert toujours l’exercice de la mort, qui est en quelque sorte, depuis Platon, l’essence même de la philosophie.”

En entendant nos enfants se saisir de l’expérience concrète de la dissociation entre leur corps et leur esprit comme d’un tremplin pour penser leur place dans l’univers et le sens de la mort, c’est bien à un petit “exercice spirituel” au sens de Hadot que j’avais assisté, ce soir-là, dans ma cuisine. Et qui valait peut-être la peine d’être restitué. »

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