Agnès Sinaï : “S’extraire du système productiviste”
Quel monde imaginer dans une logique de décroissance ? Sans avoir LA solution, c’est néanmoins à cet exercice difficile de prospective que se prête l’essayiste Agnès Sinaï, en élaborant des modèles de vie sociale, politique et économique alternatifs.
« Notre nouvel état de conscience ne rime pas seulement avec la “fin de l’insouciance”. Il s’agit d’une forme de lucidité. Nous comprenons que ce qui nous fait vivre, à commencer par l’air qu’on respire et le climat tempéré de l’Holocène dans lequel nous vivons depuis près de treize mille ans, ainsi que la technostructure qui procurait un certain confort et toutes ces aménités liées à la modernité, comme l’eau courante ou l’électricité, ne vont plus de soi. Les cycles naturels sont perturbés, de même que la pérennité de nos sociétés industrielles. L’exubérance des Trente Glorieuses reposait sur le cycle infini de la production et de la consommation, produisant toujours plus d’objets inutiles pour ceux qui en ont déjà trop. Certains lanceurs d’alerte l’avaient déjà signalé, ce confort énergétique ne serait qu’une parenthèse de l’histoire humaine. Cette parenthèse se referme pour laisser place à d’autres modes d’existence, à d’autres configurations éthiques et politiques. »
Tirer les freins d’urgence
« La prise de conscience de ce changement d’époque date du début des années 2000, sous le vocable d’Anthropocène. Mais peut-être qu’un tournant, un sentiment d’accélération, a eu lieu en 2022, parce que les chairs ont été touchées, par le fait d’avoir eu un contact physique avec des anomalies climatiques, avec 39 °C dans des régions tempérées… On s’aperçoit confusément que tout est lié : on ne peut pas penser l’électricité sans le climat, l’eau sans l’agriculture, la consommation sans la contraction des ressources. La guerre en Ukraine a par ailleurs mis à nu notre vulnérabilité énergétique. “Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale, écrivait Walter Benjamin. Mais il se peut que les choses se présentent tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte, par l’humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d’urgence.” La traversée du désespoir est absolument incontournable mais pas forcément démobilisatrice, c’est l’attribut de la lucidité. Un optimiste est quelqu’un de mal informé ! Il n’y a pas d’autres gouvernements que celui du climat tempéré, c’est une condition non négociable de la vie. Une forme de politique reste donc à inventer, qui s’extraie du système productiviste en considérant qu’on ne peut pas négocier avec la nature. L’anthropologue Philippe Descola montre que la séparation d’avec la nature est une invention de la modernité des Lumières. Cet héritage n’est pas bien sûr entièrement négatif – il a promu la raison et nous a sortis de la superstition –, mais, couplé à certaines inventions techniques, il a effectivement produit une forme de démesure dont le seuil se situe, à mon sens, davantage en 1945 qu’en 1750. Je me range du côté des géologues de l’Anthropocène, qui estiment que l’avènement de certaines techniques, la société de consommation et les guerres mondiales ont été des moments de catalyse de la destruction de la planète. »
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