Peut-on nommer son fils Adolf Hitler ?

Sven Ortoli publié le 3 min

« “Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom.” (Roméo et Juliette) La remarque de Shakespeare, selon laquelle les propriétés d’un objet ne sont pas déterminées par les noms qui s’y attachent, pourrait fournir une réponse décisive à la tradition philosophique du nominalisme. Mais elle égratigne à peine l’enveloppe de la question bien plus large de savoir si l’État doit imposer une limite au droit de nommer ses enfants ou soi-même. Ce droit […] pourrait agir comme la sonnette d’alarme d’une question sociale à propos de laquelle la plupart des gens soutiennent avec vigueur une position libertarienne. Mais la confusion soulève des difficultés inattendues. Chacun a le droit exclusif de nommer ses enfants ou soi-même. Mais on aurait du mal à en déduire que ce droit devrait être illimité. Après tout, j’ai le droit exclusif de faire ce que je veux de ma propriété, mais cela ne me donne pas toute latitude pour polluer la terre de mes voisins en toute impunité. Autrement dit, il y a tout simplement des prénoms qui doivent être considérés “hors limite”. La question est récemment revenue sur le devant de l’actualité avec l’histoire, relatée dans le New York Times, d’un certain Heath Campbell qui se plaignait que son supermarché local ait refusé de décorer le gâteau d’anniversaire de son fils avec ses deux prénoms : Adolf, Hitler. On sait que, depuis, l’affaire a mal tourné pour le couple Campbell [Les services sociaux leur ont retiré la garde des enfants, Ndlr]. Mais les noms imposent ce que l’on pourrait appeler une externalité “douce” sur les autres, laquelle devient difficile à supporter lorsque le nom en question force les gens à être respectueux envers quelqu’un qu’ils haïssent. Là, aucun relativisme moral n’est permis. Qui voudrait être poli avec Adolf Hitler ? »

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