Peut-on dire que nous vivons encore dans la postmodernité?

publié le 3 min

Olivier Richard, Paris

La modernité, depuis la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, se définit comme rupture avec la tradition. Moderne était alors Perrault, et il était bien seul, face à tous ceux qui suivaient Boileau : il proposait au roi de ne plus écrire son adresse au peuple en latin sur les monuments, comme on l’avait toujours fait jusqu’alors, mais en français. Un grand roi, selon Perrault, se devait d’oser une telle audace. L’époque moderne est donc celle qui refuse tout héritage, veut fonder du neuf sans fidélité aucune au passé. Les révolutionnaires français, les avant-gardes du XXe siècle… se voulurent ainsi radicalement modernes. La postmodernité désigne cette époque où l’on ne croit plus en la possibilité d’une rupture aussi radicale : on se contente, au mieux, de mixer éléments de tradition et ferments de nouveauté. Pour Luc Ferry, la postmodernité signifie donc la fin de la croyance en l’avant-garde. Dans La Condition postmoderne (Éd. de Minuit, 1979), Jean-François Lyotard définit la postmodernité, dont il date la naissance aux années 1950, comme « fin des grands récits » : être postmoderne, c’est ne plus croire en un progrès du citoyen rationnel (grand récit kantien), ni en un progrès inéluctable de la liberté politique (grand récit hégélien), ni en celui d’une lutte des classes qui apporterait l’égalité (grand récit marxiste). Que reste-t-il alors ? De simples petites histoires, et la généralisation d’une ironie amère : quand on ne croit plus en rien s’ouvre la possibilité de se moquer de tout. La postmodernité aurait alors des accents nihilistes. En sommes-nous encore là ? Oui et non. Oui pour l’ironie : difficile aujourd’hui d’échapper à la morsure de cette posture devenue norme. Chez Socrate, cette ironie était un pari sur l’intelligence de l’autre ; chez nous, elle semble plutôt l’autre nom d’une absence de conviction et d’idéal. Non pour la fin des grands récits. Car nous ne manquons pas aujourd’hui d’occasions d’en retrouver ou d’en réinventer. Pensons, par exemple, au grand récit de la prise de conscience écologique, d’un homme qui passerait de « maître et possesseur de la nature » à un être capable de signer, comme le proposait déjà Michel Serres, un « contrat naturel » avec elle. Ou pourquoi pas au grand récit de l’inéluctable mutation de l’humain en posthumain, en un homme bionique, de plus en plus greffé de technologies et qui serait capable, comme dans le film Interstellar (de Christopher Nolan, 2014), de coloniser l’espace… Si l’une de ces options vous parle au moins un peu, c’est que nous sommes sortis de la postmodernité.

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