“Petite sœur”. Planches de salut

C’est un film sur le théâtre et sur la maladie, parfois sur le théâtre de la maladie. Les deux réalisatrices Stéphanie Chuat et Véronique Reymond ont en effet constitué une majeure partie de leur distribution auprès de l’excellente troupe de la Schaubühne, l’un des meilleurs théâtres de Berlin. Nina Hoss et Lars Eidinger (photo), qui incarnent respectivement Lisa et son frère jumeau Sven, se sont ainsi illustrés sous la direction du metteur en scène Thomas Ostermeier, qui joue ici son propre rôle. Elle interprète une dramaturge et lui un comédien éloigné des planches par un cancer. Fiction et réalité se brouillent d’emblée dans ce drame qui montre à la fois le déclin d’un acteur privé de jeu et d’un malade contraint de continuer de jouer la comédie sociale. Sven ne tient en effet que dans l’espoir de remonter sur scène et, à mesure que cet espoir s’estompe, il se sent devenir « superflu », selon les mots de Ruwen Ogien. Dans un essai autobiographique écrit lorsqu’il souffrait lui-même du cancer, le philosophe montre que « la maladie n’est pas seulement un état physique ou organique mais aussi une condition sociale » et qu’elle n’apprend rien, pas plus qu’elle ne rend plus fort. Contre le « dolorisme », soit « le mythe de l’amélioration de soi-même par la souffrance », Ruwen Ogien s’est attaché dans Mes milles et une nuits (Albin Michel, 2016) à « redescendre sur le sol de la souffrance physique sans justification existentielle grandiose », comme le fait ce film sensible, ni optimiste ni désespéré. Si le livre emprunte son titre à Shéhérazade, c’est que, comme elle, le malade apprend à « faire durer le suspense ». Tout l’art des bons acteurs. Petite Sœur n’en manque pas.

Petite Sœur / De Stéphanie Chuat et Véronique Reymond / Avec Nina Hoss, Lars Eidinger, Marthe Keller, Jens Albinus et Thomas Ostermeier / En salles le 10 mars (sous réserve) / Durée : 1h39