Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

©VioletaStoimenova / iStockphoto

Réseaux sociaux

Petite psychanalyse du nombril

Octave Larmagnac-Matheron publié le 02 octobre 2023 3 min

La tendance des « faux nombrils » fait fureur sur les réseaux sociaux chinois. Au-delà de ce drôle de phénomène, explorons la symbolique du nombril avec Freud, Lacan et Derrida.


 

Rehausser la position de son nombril grâce à des autocollants ? Cet étrange stratagème est en plein essor sur Xiaohongshu et Douyin, équivalents autorisés par le régime de Pékin d’Instagram et TikTok. L’objectif : donner l’illusion d’une silhouette plus élancée, de hanches plus minces, de jambes plus longues, etc. Cette tendance des « faux nombrils » chez des jeunes Chinoises a bien sûr de quoi faire sourire. Ne met-elle pas en abîme la vanité de l’exhibition sur les réseaux sociaux, en attirant l’attention sur cela même qui, métaphoriquement, réclame d’être regardé ? Le nombril, au centre du corps, est le symbole du Moi qui veut être le centre de l’attention, le centre du monde. Il représente cet ego qui, pour exister, semble avoir besoin d’exister d’abord pour autrui.

Le nombril et son double

Ici toutefois, ce n’est pas le nombril réel qui est regardé, mais un ersatz. Faut-il y lire un aveu que ce Moi avide de se montrer sur les écrans est un masque, une construction factice qui ne dit rien du Moi « réel » ? Peut-être. Mais le nombril réel lui-même n’est-il pas, déjà, le signe que quelque chose dans ce Moi profond nous échappe irrémédiablement ?

Chez Freud, l’« ombilic » désigne métaphoriquement « un point où [le rêve] est insondable, […] en corrélation avec le non-connu » (L’Interprétation du rêve, 1899). Le nombril évoque une région inconnue, inconnaissable de nous-même, un abîme sur lequel nous reposons sans jamais pouvoir le regarder de front, une faille insaisissable qui ébranle toutes les images que le Moi se donne de lui-même, qui fait vaciller toutes les identifications. Il est, dira Derrida dans Résistances de la psychanalyse (1996), le signe que quelque chose en nous demeure « impénétrable, insondable, inexplorable, inanalysable ».

L’origine du (centre du) monde

Pourquoi donc le nombril est-il le symbole de cet échec de l’ego à se ressaisir ? Certainement parce qu’il est d’abord le témoignage indélébile d’une dépendance première de notre existence. Cette dépendance est rompue, dans notre vie adulte – ne serait-ce que purement biologiquement. Mais elle subsiste. « L’ombilic, le lieu omphalique est le lieu d’un lien, un nœud-cicatrice gardant la mémoire d’une coupure et même d’un fil tranché à la naissance. » La coupure, dans une certaine mesure, marque une réappropriation de nous-mêmes. Mais elle est hantée par la certitude de ce que nous ne nous suffisons jamais à nous-mêmes. Nous sommes grevés d’un « manque à être », dira Lacan dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1973).

“Le centre d’inconnu […] n’est point autre chose, comme le nombril anatomique même qui le représente, que cette béance dont nous parlons”

Jacques Lacan, op. cit.

Plaie originelle, première, constitutive de notre corps propre tout en inscrivant dans la chair le lien irrécusable de ce corps avec un autre, le nombril anatomique est l’image même d’une faille existentielle certes cicatrisée mais dont l’épreuve laisse une trace. Le nombril anatomique exhibe « le trou qu’il suture » (Derrida) sans parvenir à l’effacer. Comme un nombril, notre psychisme, en se structurant, suture la béance d’une existence d’inconscience dont le Moi, lentement, émerge. Et comme la cicatrice qui ne disparaît jamais, le Moi reste marqué par les séquelles d’une désappropriation originelle, d’une inquiétante étrangeté à lui-même. « L’Angoisse qui pince la corde ombilicale de la vie… », glissait Antonin Artaud dans son recueil de poèmes L’Ombilic des limbes (1925).

Hubris narcissique

Remplacer son nombril anatomique par un autocollant ne vise-t-il pas, alors, sous un prétexte purement esthétique, à la réappropriation de cette origine inappropriable qui hante le moi ? Substituer un artefact au nombril réel, n’est-ce pas, pour l’ego, reprendre le pouvoir sur ce qui le dépossède ? N’est-ce pas réintroduire une initiative et une maîtrise du sujet là même où se manifeste une insuffisance de la volonté consciente ?

Le nombril, le faux nombril, n’est plus qu’une forme esthétique, visible, dont le Moi peut disposer à l’envi. Une surface sans profondeur. Sous l’autocollant, la peau est lisse. Le nombril anatomique, bien entendu, n’a pas disparu. Mais il n’attire plus l’attention. Le regard se focalise sur une image pleine, close sur elle-même (en l’occurrence, le stéréotype idéalisé du corps élancé, à la taille de guêpe), et non plus sur ce trou qui ébranle l’ego jusque dans sa chair. Le sujet se rêve, si l’on veut, origine de lui-même pour conjurer cette faille qui ébranle toutes les images qu’il construit de lui-même. Au risque d’oublier sa finitude ?

De quoi le nombril, vrai ou faux, est-il le signe ?
Expresso : les parcours interactifs
Comme d'habitude...
On considère parfois que le temps est un principe corrosif qui abîme les relations amoureuses. Mais selon le philosophe américain Stanley Cavell l'épreuve du quotidien peut être au coeur d'un principe éthique : le perfectionnisme moral, qui permet à chacun de s'améliorer au sein de sa relation amoureuse.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
4 min
La grande histoire du narcissisme des petites différences
Octave Larmagnac-Matheron 14 octobre 2021

Dénonçant les velléités d’indépendance de ses ministres, Emmanuel Macron condamnait récemment le « narcissisme des petites différences »…

La grande histoire du narcissisme des petites différences

Article
9 min
Sigmund Freud. Le conquistador de l'âme
Cédric Enjalbert 20 janvier 2010

Enfant, Sigmund Freud rêve d’archéologie ; il fouillera les méandres du psychisme. Neurologue, psychiatre, le découvreur de la psychanalyse est un travailleur acharné, alternant théories révolutionnaires et phases d’abattement. Entouré…


Article
3 min
TikTok. L’Internationale des enfants
Tobie Nathan 28 octobre 2020

Ringard, Facebook ! Aux oubliettes, Twitter ! Dépassé, Snapchat ! Aujourd’hui, le réseau social star est chinois. TikTok fédère près de 1 …

TikTok. L’Internationale des enfants

Article
5 min
Rajeunir toujours plus, le sacerdoce des femmes
Antony Chanthanakone 05 octobre 2021

Le 2 septembre dernier, l’ancienne assistante dentaire devenue starlette de téléralité Maeva Ghennam a provoqué une polémique en partageant…

Rajeunir toujours plus, le sacerdoce des femmes

Article
3 min
Les deux corps des présidents américains
Jean-Marie Pottier 06 octobre 2020

Dans Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge (1957), Ernst Kantorowicz donne une définition de cette « …

Les deux corps des présidents américains

Article
7 min
Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021

Dans cet extrait du deuxième entretien de La Joie est plus profonde que la tristesse (Stock/Philosophie magazine éditeur, 2019), le philosophe…

Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”

Article
4 min
Anne Cheng : “La Chine aurait tout à gagner à se libérer de son obsession pour le concept de civilisation”
Océane Gustave 28 juin 2021

La Chine, une civilisation vieille de 5 000 ans ? Oui… si l’on en croit le discours du parti communiste chinois, qui entend bien…

Anne Cheng : “La Chine aurait tout à gagner à se libérer de son obsession pour le concept de civilisation”

Article
4 min
Freud-Lacan : un match de rêve
Octave Larmagnac-Matheron 08 février 2023

Entre le rêve et l’éveil, la frontière est plus fine qu’il n’y paraît. Si Freud estime que l’inconscient souhaite le sommeil pour mieux s’exprimer, Lacan répond que le rêveur préfère s’échapper vers l’éveil pour fuir le réel.


À Lire aussi
Sigmund Freud : « Rien n’est plus difficile à supporter qu’une série de beaux jours »
Par Nicolas Tenaillon
septembre 2012
Quand un chien aidait Freud à psychanalyser ses patients
Quand un chien aidait Freud à psychanalyser ses patients
Par Arthur Hannoun
janvier 2022
La psychanalyse va-t-elle nous faire un sermon ?
Par Alexandre Lacroix
mars 2014
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Petite psychanalyse du nombril
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse