Peter Wohlleben : la vie secrète des plantes
Saviez-vous que les plantes sont capables de mémoire et d’apprentissage ? Et même qu’elles sont, à leur manière, capables de voir sans yeux ? Longtemps négligées par la philosophie, reléguées au degré le plus inférieur de l’échelle du vivant, les plantes font leur grand retour depuis quelques années dans le champ des sciences humaines. Au point qu’on parle d’un « tournant végétal de la pensée ».
Dans notre tout nouveau livre, 22 Penseurs pour 2022, l’ingénieur forestier allemand Peter Wohlleben, auteur du best-seller La Vie secrète des arbres (trad. fr. Les Arènes, 2017), revient tout en pédagogie sur les grandes découvertes qui ont nourri ce renouveau.
Retrouvez l’intégralité de ce texte, parmi d’autres, dans notre ouvrage 22 Penseurs pour 2022, disponible en librairie ou sur notre boutique en ligne !
22 Penseurs pour 2022 est disponible ici. © Philosophie magazine Éditeur
« Nous avons commencé [avec Frantisek Baluska, biologiste des cellules végétales à l’université de Bonn] par parler de la manière dont les plantes ressentent la douleur. Mes collègues forestiers ouvrent de grands yeux quand je leur dis que les épicéas ont mal quand ils sont attaqués par des scolytes. “Bien sûr, une plante, les arbres peuvent ressentir la douleur, m’a répondu le professeur lorsque je lui ai posé la question. Toute forme de vie doit en être capable pour pouvoir réagir de manière appropriée.” La preuve se trouve au niveau moléculaire. Comme les animaux, les plantes produisent des substances qui suppriment la douleur. Elles n’auraient aucune raison d’être s’il n’y avait pas de douleur en premier lieu.
Frantisek Baluska avait fait d’autres découvertes très différentes. En Amérique du Sud, il existe une plante grimpante qui s’adapte à la forme de l’arbre ou de l’arbuste sur lequel elle pousse. Ses feuilles sont tout à fait semblables à celles de son hôte. On pourrait penser qu’il s’agit d’une transformation chimique. Dans ce cas, la plante grimpante détecterait des composés indicateurs dans l’arbuste et modifierait la forme de ses feuilles d’une manière génétiquement prédéterminée. Trois formes de feuilles différentes avaient été observées.
Un chercheur a alors eu l’idée de créer une plante artificielle dotée de feuilles en plastique et de replacer ce caméléon botanique dans son nouvel environnement. Il s’est alors produit un événement extraordinaire. La plante grimpante a imité les feuilles artificielles, exactement comme elle le fait dans la nature. Pour Baluska, c’est la preuve incontestable des capacités visuelles de la plante grimpante. Sans cela, comment pourrait-elle prendre des informations sur une forme qu’elle n’aurait jamais rencontrée auparavant ? Dans cette situation, les éléments habituels – des messages chimiques envoyés par la plante hôte ou des signaux électriques entre les deux plantes – étaient absents. Baluska est allé plus loin. Selon lui, il est concevable que toutes les plantes soient dotées de capacités visuelles.
Jusqu’alors, la seule chose que je savais était que les arbres sont capables de distinguer la lumière de l’obscurité. Des recherches ont été menées sur le sommeil des bouleaux et des chênes, et l’on a découvert que les hêtres pouvaient mesurer la durée d’une journée. Pour cela, tous ces arbres doivent être dotés de photorécepteurs qui leur transmettent des signaux et mettent tout l’organisme en action. On est cependant bien loin de la vision comprise comme la capacité à reconnaître des formes et des couleurs. Et voilà que j’apprenais que les plantes enregistrent ces données et modifient leurs comportements en conséquence. J’étais épaté.
Retrouvez cette tribune dans son intégralité dans notre ouvrage 22 Penseurs pour 2022, paru le 6 janvier 2022 chez Philosophie magazine Éditeur.
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