Hors-série "Vivre et penser comme un arbre"

L’horreur 
du végétal dans la littérature

Octave Larmagnac-Matheron publié le 02 décembre 2022 4 min

« Les plantes sont plus féroces encore que les hommes, et je ne puis passer dans les bois sans horreur », écrit Schopenhauer. À l’opposé des rêveries poétiques qui font de la forêt un refuge, le philosophe allemand s’effraie de la forêt où règne, d’un arbre à l’autre, une lutte à mort pour la conquête de l’air, de la lumière, et de la terre. Un effroi qu’il partage avec de nombreux philosophes et écrivains, Sartre en tête dont les aventures végétales se limitaient probablement au Café de Flore.

 

Le motif de l’horreur végétale est récurrent dans la littérature du grand XIXe siècle. Dans son conte Narkiss (1908, in Princesse d’ivoire et d’ivresse), Jean Lorrain écrit : « Dans un jaillissement éperdu de tiges, de feuilles et d’ombelles, c’étaient le rut, la fièvre de sève, le grouillement de vie, la fermentation de germe et la menace épanouie d’une végétation exaspérée, surchauffée, triomphante, gigantesque et hostile […] ; et tout cela se tordait, se cambrait, s’échevelait, s’enlaçait, s’étouffait, se joignait pour se fuir, se fuyait pour se joindre. »

Dans La Faute de l’abbé Mouret (1875), Zola terrifie aussi son lecteur : « C’était un rampement, un jaillissement de bêtes sans nom entrevues dans un cauchemar, de monstres tenant de l’araignée, de la chenille, du cloporte, extraordinairement grandis, à peau nue et glauque, à peau hérissée de duvets immondes, traînant des membres infirmes, des jambes avortées, des bras cassés, les uns ballonnés comme des ventres obscènes, les autres avec des échines grossies d’un pullulement de gibbosités, d’autres dégingandés, en loques, ainsi que des squelettes aux charnières rompues. »

Chez Huysmans, la monstruosité du végétal est intimement liée au sentiment d’artificialité que produit la profusion vertigineuse des formes prises par les plantes : « [Elles] sont tout de même stupéfiantes, se dit-il ; puis il se recula et en couvrit d’un coup d’œil l’amas : son but était atteint ; aucune ne semblait réelle ; l’étoffe, le papier, la porcelaine, le métal, paraissaient avoir été prêtés par l’homme à la nature pour lui permettre de créer ses monstres » (À Rebours, 1884).

Expresso : les parcours interactifs
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