“Pêcheur de perles”, d’Alain Finkielkraut : de l’art de citer
Dans le portrait qu’elle consacre à Walter Benjamin, Hannah Arendt intitule son hommage « Le Pêcheur de perles ». Plaçant en exergue une citation de La Tempête de Shakespeare (« Par cinq brasses sous les eaux / Ton père englouti sommeille / De ses os naît le corail / De ses yeux naissent les perles / Rien chez lui de corruptible / Dont la mer ne vienne à faire / Quelque trésor insolite… »), elle voit dans la passion de Benjamin pour la collection d’objets en tout genre, mais aussi de citations, le signe d’un rapport inédit au passé. Avec la perte de la tradition, écrit-elle, la « citabilité » du passé s’est substituée à sa « transmissibilité ». Qu’est-ce qui fait la force d’une citation pour nous qui sommes privés de l’assise d’une tradition ? Ce n’est plus une vérité qui s’impose à nous avec l’autorité de la chose jugée et de l’évidence. C’est un « viel os », « corruptible », qui remonte du fond des temps et dont il nous revient, à nous, par un œil vivant, grâce à la « violence de l’interprétation » et à la « force meurtrière d’idées nouvelles », ajoute Arendt, de lui donner « cette force inquiétante de s’installer par bribes dans le présent et de l’arracher à cette “fausse paix” qu’il devait à une complaisance béate ». Bref, d’en faire une perle.
En intitulant son dernier essai Pêcheur de perles (Gallimard) et en le scandant de quinze citations, allant de Tocqueville à Paul McCartney, susceptibles d’éclairer les grandes questions du moment, Alain Finkielkraut se place dans les pas de Benjamin et d’Arendt. Mais son essai s’ouvre sur deux entrées, plus personnelles, sur l’amour et la mort. Dans la première, illuminée par la formule de Valéry, « le cœur consiste à dépendre », il raconte la rupture évitée de justesse avec sa femme. Et s’adonne à une magnifique déclaration d’amour fondée sur l’emprise que celle qu’il désire et admire exerce sur lui. Dans la seconde, éclairée par Elias Canetti (« La mort est de Dieu, et elle a dévoré son père »), il confesse son angoisse d’être un jour en proie à la sénilité et se livre à une défense subtile et nuancée de l’euthanasie contre Michel Houellebecq et son propre penchant intellectuel à refuser de rendre la mort « disponible ». On aurait cependant apprécié, sur les treize autres entrées, qu’au lieu d’adopter la posture du moraliste vitupérant contre son temps, Finkielkraut conserve la mobilité de la sensibilité et de la pensée qui ouvre son essai et lui permet de transformer des citations en perles lumineuses.
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