Patientez ! La politesse du petit chef
Sous ses apparences de civilité, cette injonction s’apparente davantage à un ordre, à la limite entre la mise en quarantaine et l’insulte. Un peu comme si le temps suspendait son vol du fait d’une grève des aiguilleurs du ciel.
Aucun méfait du langage administratif n’est plus détestable que le remplacement systématique du verbe « attendre » par l’injonction « patientez ! ». Tel une flèche dont l’occlusive serait l’arc tendu, la sifflante la trajectoire et la dentale le choc mortel (« pa-tien-tez »), ou la morsure d’un serpent stupide qui, pour vous planter ses crocs pourris dans l’avant-bras, déplie son gros paquet d’anneaux et se jette sur vous, « Patientez ! » n’est pas un verbe mais un ordre, un rappel à l’ordre, une insulte alambiquée, un doigt d’honneur ganté, la politesse ostensible qui permet tous les abus, la civilité réglementaire qui dispense d’être courtois. De fait, le mot n’existe quasiment qu’à l’impératif. « Patientez, Monsieur ! » ordonne le petit chef, sûr de son pouvoir, et d’un ton lui-même impatient. Patientez ! Autrement dit, ne bougez pas ! Restez derrière la ligne, attendez qu’on vous appelle, faites la queue comme tout le monde, gardez votre ceinture attachée jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil, et surtout fermez-la ! Le meilleur indice du dédain vindicatif qu’il exprime, c’est que « Patientez ! » vous fait la morale, présume que vous êtes impatient et en appelle, en conséquence, à la tempérance et à la solidarité dont le seul fait de demander quelque chose semble dire que vous êtes dépourvu. Patientez, Monsieur, car vous n’êtes pas tout seul ici : d’autres – dont moi – passent avant vous.
À ne voir dans les règles de civilité que le masque de l’hypocrisie sociale, nous autres, Modernes, avons oublié leurs vertus libératrices, soutient le philosophe Philippe Raynaud. Explications.
En partenariat avec les Presses universitaires de France, Philosophie magazine propose chaque jour une entrée du «Dictionnaire philosophique» d'André Comte-Sponville. Aujourd'hui: « Politesse ».
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Qui l’eût cru ? Voilà le Parisien bon teint lui aussi rappelé à l’ordre pour ses incivilités. Avec sa campagne pastillée dans ses bus, la RATP n’ambitionne rien de moins que lui réapprendre les règles élémentaires de la politesse.