Ollivier Pourriol : “J’ai voulu imaginer l’expérience de la rencontre avec quelqu’un comme Socrate”
Le philosophe et scénariste Ollivier Pourriol nous explique l’enjeu de l’incarnation par l’image, à l’occasion de la sortie de sa bande dessinée La Vérité sur Socrate (Les Arènes BD, 2023), conçue avec le dessinateur Éric Stalner – qui lève le voile sur la vie du penseur antique. Entretien.
Pourquoi avoir choisi de consacrer votre bande dessinée à Socrate ?
Ollivier Pourriol : C’est d’abord une passion personnelle. Il y a un mystère autour de ce personnage qui n’a rien écrit mais a changé la vie de tellement de monde. Et puis, je suis intéressé par l’idéal d’un philosophe dont les idées seraient en accord total avec ses actes. Cet idéal, Socrate l’a payé de sa propre vie. On n’attend pas d’un professeur de philosophie aujourd’hui qu’il soit prêt à mourir pour la vérité ou pour son idée de la justice.
“Ce livre est une fiction. Ce n’est pas un cours de philosophie”
Est-ce que ce livre est destiné à un public particulier ? Les novices en philosophie peuvent-ils s’en emparer ?
Absolument, puisque le livre est une fiction – ce n’est pas un cours de philosophie. J’ai voulu imaginer l’expérience de la rencontre avec quelqu’un comme Socrate. On le montre au moment où il n’était pas encore devenu un objet littéraire. Platon ou Xénophon n’avaient pas encore écrit sur lui ; le seul qui l’avait fait, et du vivant de Socrate, c’était Aristophane. Et puisque Socrate n’a rien écrit, on le découvre à travers ceux qui témoignent de l’homme qu’il était, ses proches, sa famille, ses amis.
Couverture de La Vérité sur Socrate. © Les Arènes BD
Il s’agit d’une fiction, mais les faits racontés s’appuient sur la vérité. Comment s’est organisé votre travail de recherche ?
La difficulté, c’est que les seules choses que l’on sait sur Socrate, ce sont sa date de naissance, de mort, le fait qu’il a participé à trois campagnes militaires et celui qu’il a été condamné à mort. À partir de ces quelques éléments, j’ai voulu construire une fiction vraisemblable : je me suis appuyé sur les dialogues de Platon, de Xénophon, mais aussi sur des travaux universitaires et des entretiens avec des personnes qui connaissent très bien le sujet. On entend souvent que Socrate s’est suicidé, qu’il n’aimait pas la vie, or c’est faux. D’abord, il a été condamné à mort – il a quand même une femme, trois enfants, il ne part pas de gaieté de coeur. En comparant les sources, on se rend compte, par exemple, que son fils aîné n’est pas venu le saluer avant sa mort, tel un adolescent en colère. J’ai voulu parler de ces personnages qu’on n’évoque jamais.
Avez-vous remarqué des choses surprenantes, ou des contradictions, au gré de vos recherches ?
Ce sont moins des contradictions que des choses qui sont présentes mais qu’on n’approfondit pas. On sait que Socrate a participé auxdites campagnes militaires [c’était un fantassin, un hoplite] pendant la guerre du Péloponnèse. On le sait, mais on en tire rarement les conséquences : il a tué des gens, il a côtoyé la peste ou le choléra, la famine, et même le cannibalisme, dans la ville assiégée de Potidée. Il a déjà fait cinq ans de guerre lorsque Platon nous le montre en train de soutenir qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre : il sait probablement de quoi il parle. Sans ce contexte de la guerre du Péloponnèse, ses affirmations éthiques pourraient paraître faciles. Chacun de ses actes est traversé par une inquiétude éthique. Cette bande dessinée, c’est l’histoire d’un homme qui, à force de chercher la justice, va se faire des ennemis, et va en mourir.
“La vie de Socrate se résume à une question : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour être justes ? Tout le reste, c’est du bavardage”
Vous êtes aussi attaché au cinéma, puisque vous avez collaboré aux scénarios de plusieurs films et avez même réalisé un court métrage. Est-ce plus difficile de présenter des idées philosophiques par l’image ?
J’ai cherché un dessinateur, Éric Stalner, qui sache donner de la profondeur humaine à des personnages souvent perçus comme théoriques. Socrate est un philosophe mais ce n’est pas un être abstrait. Il parle de justice, mais aussi de désir, de beauté, d’amitié. La bande dessinée nous a justement aidés à incarner les personnages et à les montrer vivants, se disputant. Il s’agissait aussi de rectifier des clichés. Par exemple, Socrate est présenté comme pauvre, ce qui n’est pas totalement vrai. S’il n’a jamais consenti à vendre ses cours pour de l’argent, il peut néanmoins se payer une maison qui est loin d’être misérable, et une panoplie de hoplite nécessaire pour faire la guerre. Sa pauvreté est relative, et choisie, c’est une affirmation éthique – il refuse de recevoir de l’argent en échange de ses leçons pour rester libre de choisir à qui il parle. Et c’est aussi pour ça qu’il est mort, on lui a fait payer le fait de ne pas se laisser payer, et d’avoir ainsi du pouvoir sur ses interlocuteurs. Le plus remarquable, c’est que la vie de Socrate se résume à une question : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour être justes ? Tout le reste, c’est du bavardage.
Les images réalisent une partie du travail d’imagination que l’on fait avec un roman, par exemple. Est-ce que vous pensez que l’illustration permet, contre-intuitivement, de mieux se concentrer sur le texte, sur les idées ?
Les images nourrissent les idées. On a été aussi précis que possible sur l’iconographie : nous nous sommes appuyés sur les travaux magnifiques de François Lissarrague consacrés aux banquets, nous sommes allés à Athènes repérer des lieux, des objets. Lorsque les Athéniens se réunissaient pour boire, il y a des bateaux, des dauphins sur leurs coupes. Parce que boire, c’est s’embarquer dans une aventure. Quand Homère dit que la mer a la couleur du vin, on a pris ça au sérieux – on a fait une séquence de tempête où la mer a la couleur du vin. Il ne s’agit pas de tuer l’imaginaire, mais au contraire de le stimuler. Le pari, c’était de faire sentir ce que ça pouvait faire de rencontrer Socrate, d’être face à lui et de croiser son fameux regard « de taureau », qui faisait rougir le bel Alcibiade et fuir les ennemis sur le champ de bataille. Ce livre est moins une biographie qu’une expérience humaine et philosophique.
La Vérité sur Socrate, d’Ollivier Pourriol et Éric Stalner, vient de paraître aux Éditions Les Arènes BD. 136 p., 22,90€, disponible ici.
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