Notre-Dame-de-la-Restauration

Elle devrait rouvrir ses portes au public l’an prochain, après cinq ans de travaux. Elle, c’est bien entendu Notre-Dame de Paris, dont la reconstruction fait appel à un nombre impressionnant de corps de métier… Car c’est bien de « métier » qu’il est question dans notre édito du jour.

« Le 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris était donc en feu. Je me souviens du ciel orangé dans la capitale, de mon incrédulité devant les images de la cathédrale qui menace de s’effondrer et d’être allé dormir en pensant que le joyau gothique ne serait peut-être, le lendemain matin, qu’un tas de gravats sur l’île de la Cité. Mais l’édifice a tenu et un extraordinaire chantier de restauration s’est rapidement enclenché. Un film et une exposition retracent cette aventure. J’ai pu voir les deux cette semaine à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à l’occasion d’une projection suivie d’une visite. Le parcours de l’exposition, parmi les collections de l’institution, valorise le savoir-faire des bâtisseurs jusqu’aux restaurateurs. Le documentaire, visible sur Arte en trois épisodes, s’intitule lui : Notre-Dame de Paris, le chantier du siècle. L’hyperbole n’est pas usurpée ! Car l’on découvre une entreprise titanesque, mettant aux prises avec l’histoire et la matière des milliers d’ingénieurs et d’artisans, spécialistes du bois, du métal, de la pierre et du verre.

Trois éléments m’ont particulièrement frappé. D’abord, l’ampleur d’un chantier littéralement disproportionné. Car l’immensité de la tâche exige une étude infinitésimale des matériaux, l’observation au microscope de la pierre ou du métal pour en identifier la composition et retrouver les mêmes propriétés pour rebâtir. Être pris ainsi – ne serait-ce qu’en trois fois 52 minutes ! – entre l’infiniment grand et l’infiniment petit donne un certain vertige métaphysique. Mais n’était-ce pas précisément toute la vocation des cathédrales gothiques que d’amener à “trembler” à la vue de ces “merveilles”, d’être pris entre les deux infinis dont parle Pascal ?

Le deuxième élément marquant est un paradoxe. Car les recherches archéologiques menées sur le site montrent que Notre-Dame était jusqu’à présent une inconnue célèbre, victime de sa notoriété, trop incessamment visitée pour être correctement étudiée. Les chercheurs ont ainsi pu mettre au jour des “trésors” archéologiques et les ingénieurs, épaulés par la puissance de l’intelligence artificielle, certains secrets de fabrication du monument, indispensables à la reconstruction.

Un troisième sujet d’admiration, enfin : le nombre de corps de métiers impliqués dans ce projet – historiens de l’art, géologues, ingénieurs, compagnons… Ils incarnent ensemble une compréhension du “métier”, soit la conception d’un travail nécessitant des savoir-faire acquis sur le temps long, transmis par une profession ainsi que la maîtrise d’un geste ou d’une technique. Où l’on réalise que cette notion n’est pas réservée aux artisans. Dans Ce que sait la main (Fayard, 2010), l’historien et sociologue américain Richard Sennett remarque ainsi que “le métier désigne un élan humain élémentaire et durable, le désir de bien faire son travail en soi. Il va bien plus loin que le travail manuel qualifié ; il sert le programmeur d’ordinateur, le médecin et l’artiste ; l’art d’être parent s’améliore dès lors qu’il est pratiqué comme un métier qualifié ; de même en va-t-il pour le métier de citoyen. Dans tous ces domaines, le métier se focalise sur des normes objectives, sur la chose en soi”.

Voilà peut-être ce qui fascine tant dans ce chantier : la focalisation sur un projet long et technique, nécessitant la solidarité organique des différents corps de métier. Il offre un modèle alternatif concret à la liquidité de la vie moderne, prise dans le flux de process abstraits, dans une forme d’accélération insensée et de dématérialisation. De la matière à penser, littéralement ! »

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