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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Nobody de Cyril Teste © Simon Gosselin

“Nobody” de Cyril Teste : travaillez, vous êtes filmés !

Cédric Enjalbert publié le 12 novembre 2015 5 min

Avec Nobody, le metteur en scène Cyril Teste fait d’une pierre deux coups: explorant les affres du monde du travail grâce à un procédé artistique innovant qui mêle théâtre et vidéo, il propose dans le même temps une pièce qui se présente comme un manifeste pour la “performance filmique”.

 

Une machine infernale à broyer les individus en perdant la logique du sens : ainsi va l’entreprise revue par le metteur en scène Cyril Teste, d’après un montage de textes de Falk Richter (Sous la glace, Electronic City, Le Système et Ivresse). Il scénarise la déshumanisation au travail, selon un dispositif expérimental, mêlant le théâtre à la vidéo. À travers l’objectif de deux caméras, l’on suit la trajectoire de Mr. Nobody, qui donne son titre au spectacle, un consultant en restructuration d’entreprise au bord du burn-out.


Un héros à la Kafka

De ce “monsieur Personne”, digne d’un héros à la Kafka, évoluant dans l’ombre du système, Falk Richter fait le parangon de son œuvre théâtrale et politique. Il met ainsi en branle les affres du monde contemporain, de l’amour au monde du travail et explore la confusion des sphères publiques et privées, lorsque l’intime devient poreux aux pressions du monde contemporain. Le collectif MxM sous la houlette de Cyril Teste s’empare des textes puissants et nécessaires du dramaturge allemand, qu’il adapte pour la scène selon un dispositif cinématographique innovant, proposant une alliance des possibilités techniques du cinéma avec la qualité éphémère du théâtre.

Ce qu’il appelle une performance filmique cherche “grammaire commune du théâtre et de l’image”. Et il y parvient, tirant le meilleur parti de la densité émotionnelle du théâtre, de sa perfectibilité, tout en utilisant les procédés techniques du cinéma : flash-backs, fondus, gros plans… De cette forme hybride ressort un sentiment d’hyperréalité, complété par une diffraction des points de vue. Au lieu de passer gauchement le théâtre à la moulinette de la vidéo, comme trop souvent d’usage, Cyril Teste et son équipe renverse la perspective et mettent l’image et les écrans à l’épreuve du réel, qu’est la représentation de théâtre. Ce faisant, Nobody pointe du doigt la scénarisation du réel, la fictionnalisation de nos existences et tous les usages de ce story-telling qui désubstantialisent notre action, en repoussant nos activités dans l’horizon lointain des chiffres et du discours, du “process”, de l’évaluation, obscurcis par une novlangue truffée de barbarismes repoussant d’autant l’accès au monde.


La vertu d’une loupe

La performance filmique peut ainsi paradoxalement être comprise comme un procédé de retour au réel, surlignant l’absurdité du travail lorsqu’il a perdu de vue son utilité. Cet univers se prête d’autant mieux à l’expérience qu’il souffre précisément de ce recul de la tache concrète au risque d’un éloignement du sens et qu’il suscite les paradoxes. Car les employés de ces entreprises, embarqués dans des projets plus ou moins fumeux, invités contradictoirement à se réaliser en se dépersonalisant au profit de l’entreprise, sont aussi incités à devenir à la fois surveillant et surveillé, dans des open-spaces digne d’un panopticon, où chacun s'épie et est épié. En guise du quatrième mur fictif sur lequel repose habituellement l’illusion théâtrale, une large vite qui donne à l’open-space un air d’aquarium et à la caméra, dont les images sont projetées sur un grand écran surplombant, la vertu d’une loupe.

Comme l’écrivait Philippe Nassif dans une enquête sur le monde du travail: 

« on multiplie les procédures – les “process” en novlangue managériale –, on impose aux cadres de laborieuses tâches de “reporting” – truffer de chiffres jusqu’à point d’heure des tableaux Excel à peine compréhensibles –, on ne jure plus que par les indicateurs des performances de chacun – dit KPI pour “Key Performance Indicators”. […] La souffrance du cadre est alors augmentée par un sentiment d’absurdité qui le laisse coi : après tout, il est victime d’un management dont il aura été l’un des plus fervents apôtres. »

 

Réalités contradictoires

Cyril Teste cerne de près ce monde qui ne tourne pas rond, en superposant des réalités contradictoires: celle des discours (la logorhée de ces acteurs du néolibéralisme émaillée de barbarismes managériaux, d'une part, et celui du flux de pensée de monsieur Personne, qui demeure malgré tout quelqu’un, avec son épaisseur psychologique, de l'autre) et celle de la représentation (plans larges, où tout le monde s’agite frénétiquement, et gros plans sur des individualités happées par la peur, la fatigue et le doute).

Nobody met ainsi en scène les injonctions contradictoires du monde du travail et ce qui reste de notre désir et de nos exigences morales. Comme le souligne le sociologue Pascal Chabot, de cette tension naît précisément le burn-out dont monsieur Personne fait le tour et qui « peut être interprété comme une maladie de l’adaptation. Notre société demande en permanence à ses membres de s’adapter. Et, certes, l’être humain possède une grande capacité plastique. Mais le problème est qu’on lui demande de s’adapter pour s’adapter. La finalité peut alors s’estomper et ne pas s’inscrire pas dans une perspective plus large, où la personne pourrait se réaliser. D’où l’impression de perte de sens. La victime de burn-out est prise en étau entre des contraintes professionnelles de plus en plus grandes, et des exigences morales qui vont dans un sens contraire. »

Cyril Teste l’a bien compris, et Falk Richter avec lui: tous deux parlent avec les armes de l’ennemi, parvenant à remettre du sens là où il a déserté et de l’épaisseur humaine là où il n’y avait plus personne. 
 

Informations
Nobody, de Cyril Teste / Collectif MxM 
D’après les textes de : Falk Richter
Mise en scène : Cyril Teste
Avec le collectif d’acteurs La carte Blanche : Elsa Agnès, Fanny Arnulf, Victor Assié, Laurie Barthélémy, Pauline Collin, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Quentin Ménard, Silvère Santin, Morgan Lloyd Sicard, Camille Soulerin, Vincent Steinebach, Rebecca Truffot
Assistanat à la mise en scène : Marion Pellissier
Scénographie : Cyril Teste et Julien Boizard
Lumière : Julien Boizard
Chef opérateur : Nicolas Doremus
Cadreur : Christophe Gaultier
Montage en direct et régie vidéo : Mehdi Toutain-Lopez
Musique originale : Nihil Bordures
Chef opérateur son : Thibault Lamy
Régie son : Nihil Bordures ou Thibault Lamy
Régie générale, plateau et lumière : Julien Boizard, Guillaume Allory ou Simon André
Construction : Ateliers du Théâtre du Nord, Side Up Concept, Julien Boizard et Guillaume Allory
Régie costumes : Marion Montel
Coiffures : Tony Mayer
Administration, production et diffusion : Anaïs Cartier et Florence Bourgeon
Chargée de production pour le Fresnoy : Barbara Merlier
 
Le Monfort Théâtre
106 rue Brancion - 75015 Paris
Du 3 au 21 novembre 2015
 
Puis, en tournée :
- 29-30 septembre / Lux, Scène Nationale de Valence (26)
- 6-9 octobre / MC2, Grenoble en partenariat avec l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan (38) / Rencontres I Biennale Arts- Sciences 2015
- 13-16 octobre / La Comédie de Reims, CDN (51)
- 3-21 novembre / Le Monfort, Paris
- 28 novembre-5 décembre / Théâtre du Nord-CDN de Lille / Exposition Panorama 17
- 8-13 décembre / Le Centquatre-Paris / Festival Temps d’Images
- 16-17 décembre / Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy (74)
- 5 janvier / Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène Nationale (78)
- 22 janvier / Théâtre les Salins, Scène Nationale de Martigues (13)
- 28 janvier / Le Canal, Théâtre Intercommunal du Pays de Redon (35)
- 3-4 février / TAP, Scène Nationale de Poitiers (86)

 

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