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Politique / France

Nicolas Tenaillon: “Un débat réussi renforce le sentiment démocratique et justifie le débat lui-même”

Cédric Enjalbert publié le 07 avril 2017 5 min
Pour Nicolas Tenaillon, auteur de “L’Art d’avoir toujours raison (sans peine). Quarante stratagèmes pour clouer le bec à votre interlocuteur”, un bon débat politique repose sur un équilibre instable mêlant l’exercice de la rhétorique au souci du “dire-vrai”.

Qu’est-ce qui distingue le débat politique des autres formes de débat ?

Nicolas Tenaillon : Un débat scientifique est en général fondé sur des faits, sur des démonstrations à partir d’arguments et de contre-arguments. Il est animé par un souci de rigueur et de vérité, même s’il n’aboutit pas nécessairement à une solution. Il s’agit d’un débat progressif. Le débat philosophique ne cherche pas de solution définitive, il cherche plutôt à ouvrir le problème par une forme de progression dialectique. En revanche, lors d’un débat politique, le but est de persuader en cherchant à exprimer ses idées le mieux possible. Il n’y a pas nécessairement de progrès, de participation des débatteurs à l’élaboration d’une solution commune. Le débat politique repose plutôt sur une forme agonistique. Il reste dans la rivalité.

 

« La politique c’est de l’action et la parole ne fait que justifier l’action »

À quelles conditions, un débat politique est-il réussi ?

La notion de réussite demeure très relative. Il convient d’opérer une distinction entre le point de vue du candidat et celui du public. Pour le premier, réussir c’est parvenir à se distinguer des autres, à être le plus convaincant en prenant des risques. A posteriori, le critère de la réussite s’évalue à travers les sondages et le vote, dans les urnes. Du point de vue du public, un débat réussi est celui dans lequel les débatteurs paraissent sérieux, dignes et posés. Un débat de bonne tenue incite à la confiance. C’est le maître mot : il faut que les interlocuteurs inspirent confiance, en rassurant sur leur capacité à assumer la fonction à laquelle ils aspirent. La confiance repose sur deux critères : sur la pertinence des idées et la cohérence du programme mais aussi sur l’homme lui-même, surtout lors d’une élection présidentielle.  L’homme politique doit se révéler capable de s’adapter à l’imprévisible, structuré dans sa réponse, sachant répondre à l’urgence. Les citoyens demandent de la détermination, ils veulent s’assurer que leur volonté sera bien portée.

La politique c’est de l’action et la parole ne fait que justifier l’action. Cependant, la dimension agonistique du débat peut inspirer la confiance, dans la mesure où elle donne l’exemple d’une détermination. Entre l’excès de modération – pensons à Emmanuel Macron – et l’excès d’agressivité – voyez Marine Le Pen –, tout débat comporte le risque de faire faillir la confiance. Cicéron disait qu’un bon rhéteur apprend par cœur son discours. Je crois au contraire que le public est désormais bien rôdé et qu’il attend aussi de l’homme politique qu’il se révèle dans l’improvisation. C’est pourquoi on apprécie les sorties de Jean-Luc Mélanchon sur les « pudeurs de gazelle », par exemple. L’homme politique attire la confiance lorsqu’on a le sentiment qu’il est réactif, qu’il se révèle tel qu’il est dans une situation de crise, qu’il se dénude un peu.

 

Le souci de « dire-vrai » a-t-il sa place dans le débat politique ?

Je crois qu’il n’y a pas, en politique, de discours vrai. Hannah Arendt montre combien le discours politique est rhétorique par nature et non par accident. Lors d’un débat politique, on est toujours dans la persuasion et jamais dans la démonstration. Pour Arendt, dès qu’on passe dans l’agora, le discours de vérité devient fatalement opinion, doxa. Personne n’y échappe. Plus exactement, il faut distinguer les vérités de faits des vérités de raison. Les vérités de raison ne sont pas de mise dans le débat politique. Les vérités de faits, en revanche, peuvent être débattues sur la place publique. Mais elles sont fragiles, elles dépendent des témoins et elles peuvent se contredire. Cette distinction permet d’accepter une certaine dose de mensonge tolérable en politique. Ce « mensonge traditionnel » a le droit de cité. C’est le mensonge moderne qui est dangereux, celui qui est fabriqué, qui dénie les faits, le mensonge de la postvérité et des faits alternatifs. Marine Le Pen justifie la thèse d’Arendt sur le discours extrémiste, qui se veut prophétique, renvoyant vers un imaginaire certes cohérent mais totalement invérifiable.

 

« Hannah Arendt montre combien le discours politique est rhétorique par nature et non par accident »

Nous avons essayé de définir un débat réussi. Que serait par opposition un débat raté ?

Du point de vue de la forme, un débat raté est un débat cacophonique. Platon est le premier à critiquer l’agora comme lieu cacophonique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est non démocrate. Ensuite, Spinoza dit que l’essence de la politique repose sur la passion, la crainte et la peur. Je crois qu’il faut au contraire se méfier de la passion et des peurs en politique, et les laisser aux extrémistes. Trop de passion et insuffisamment de raison affaiblissent le débat. Inversement, trop de langue de bois et de manque d’audace nuit à l’échange, parce qu’aucune forme de vérité n’émerge. Et la sanction du débat raté, c’est évidemment le vote « coup de balai », pour rebattre les cartes, ou l’abstention.

 

Vous disiez pourtant ne pas croire à la vérité en politique.

Si je crois qu’il n’y a pas de vérité en politique, cela n’exclut pas ce que Foucault appelle la parrêsia, ou le souci de dire-vrai, le courage de la vérité. Il montre que la parrêsia entre en tension avec l’isêgoria, soit l’égalité d’accès à la parole. Il prend l’exemple de Periclès qui, alors que chacun a le droit de donner son opinion, prend néanmoins l’avantage sur ses adversaires, lorsqu’il débat sur la nécessité de mener le combat contre Sparte, car il ne cherche pas le consensus et prend sur soi d’assumer un discours personnel. Il persuade les Athéniens d’entrer en guerre. Il prend un risque politique qui valorise le débat. Finalement, un débat réussi renforce le sentiment démocratique et justifie le débat lui-même, démontrant qu’il a lieu d’être, en respectant la liberté de l’auditoire.

 

Pour finir, qu’avez-vous pensé des deux récents débat politiques télévisés ?

Ils n’étaient pas nuls et plutôt de bonne tenue, bien qu’ennuyeux. La télévision simplifie tout. Il reste qu’ils généraient le sentiment que nous avions à faire à des gens relativement raisonnables. Mais sont-ils capables ? C’est là que la rhétorique intervient, avec son lot de promesses. Elles créeront des déçus. Comme le dit Ricœur : il faut savoir promettre peu. Cette rhétorique, maniée par des professionnels de la parole, habiles et préparés à ne jamais fauter, suscite un sentiment de fatigue et d’épuisement du système. Aucun des cinq candidats ne s’est effondré sous le coup des autres. Et il pourrait y avoir d’autres débats, cela ne changerait pas. Ce ne sont pas ces débats limités qui nous permettrons de faire un choix. Dans Vie et Mort de l’image, le philosophe Régis Debray discerne des « antinomies de la raison télévisuelle », montrant qu’elle reste fondamentalement ambivalente : la télévision révèle monde et le masque, elle dévoile la personne et elle l’occulte, elle est une mémoire et elle fétichise l’instant, elle sert la démocratie et elle la pervertit.

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