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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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“Deux philosophes discutant” : miniature tirée des “Meilleures Sentences et les plus précieux dictons" d’al-Moubachir. © NPL/opale.photo

 

Mardis de la philosophie à l’Institut du monde arabe

Nadja Germann : “Si l’on prend conscience du pouvoir de nos mots, on en devient responsable”

Nadja Germann, propos recueillis par Stefania Gherca publié le 21 mars 2023 5 min

Ce soir à l’Institut du monde arabe, les Mardis de la philosophie reçoivent Nadja Germann pour une conférence intitulée « Le pouvoir des mots » – un rendez-vous dont Philosophie magazine est partenaire. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec cette philosophe spécialiste de la pensée arabe médiévale, d’épistémologie ainsi que des questions de langage.

 

Qu’entend-on par l’expression le “pouvoir des mots” ?

Nadja Germann : L’idée est de se concentrer sur la manière dont la langue parlée par notre communauté peut avoir des effets qui vont au-delà de la simple communication individuelle. C’est la réalisation des conséquences sociales globales du langage. On associe souvent « pouvoir des mots » et mots blessants, effets nocifs. Mais le pouvoir des mots peut aussi être positif. C’est un point auquel les philosophes dans le monde arabo-islamique s’intéressent beaucoup. Les mots peuvent nous permettre d’aider les autres. Prenons l’exemple de la philosophie, dont le but est d’atteindre le savoir, la connaissance. Cette quête passe souvent par l’enseignement : ce sont les mots qui nous permettent de comprendre. À notre tour, nous pouvons pousser l’autre vers une compréhension plus profonde, en utilisant des métaphores par exemple. Ainsi, les penseurs utilisent souvent des analogies ou des petites histoires pour dépeindre une pensée. Loin des explications scientifiques que l’on côtoie souvent aujourd’hui, elles évoquent l’imaginaire, et nous donnent accès à une compréhension plus personnelle, qui va au-delà du simple précepte. D’où l’importance de savoir adapter son langage en fonction de son interlocuteur.

“De nombreux penseurs arabo-islamiques considèrent que le monde est un système de signes qui parlent” Nadja Germann

 

Sommes-nous responsables du pouvoir de nos mots ?

Certainement. Par exemple, le philosophe al-Fārābī (872-950) considère que si l’on prend conscience du pouvoir de nos mots, on en devient responsable. On a cette responsabilité d’utiliser les mots avec une certaine prudence et honnêteté. Ce pouvoir joue alors un rôle primordial dans le cadre politique. Mais la première étape reste la prise de conscience, qui n’est pas donnée à tout le monde. Les philosophes sont contraints par cette responsabilité, parce qu’eux arrivent à comprendre l’impact qu’ils peuvent avoir avec leurs mots. Contrôler ce pouvoir de nos mots est une faculté accessible mais qui ne se développe pas naturellement. C’est quelque chose sur lequel on peut travailler par l’enseignement. On doit toujours apprendre de nouvelles choses, activement chercher à les comprendre. En cela, la relation entre un enseignant et ses étudiants est extrêmement importante. On retrouve très clairement cette idée chez al-Fārābī dans son ouvrage Traité des opinions des habitants de la cité vertueuse (ou de la cité idéale), qui est selon moi la pierre angulaire de sa philosophie.

 

Y a-t-il des singularités dans la conception arabo-islamique du langage ? Cette faculté nous est-elle donnée à la naissance ? Par qui, ou par quoi ?

L’idée commune à de nombreux penseurs arabo-islamiques est que Dieu a créé le monde par le biais du Verbe. Ils s’appuient pour cela sur les textes du Coran. Dieu a parlé, et les cieux, la terre, chaque créature, fut. Un pouvoir des mots exceptionnel qui n’appartient qu’à lui, et qui indique aussi que toute chose est le reflet de sa parole. En ce sens, même un objet inanimé parle – non pas dans un langage comme le nôtre évidemment – mais il exprime des indications divines. Dans le cosmos en général, le monde est un système de signes qui parlent. L’être humain détient la capacité supérieure du langage : il a pour but de déchiffrer les messages que Dieu exprime à travers toute chose. Une partie de cette tâche, qu’il faut accomplir pour accéder au paradis, est d’utiliser ce don, et de s’exprimer soi-même de manière compréhensible et intelligente. Il faut à la fois comprendre les signes et les faire comprendre aux autres. Cependant, les approches des penseurs divergent. Le savant al-Jāḥiẓ (776-867), qui a vécu au IXe siècle, s’appuie vraiment sur les textes du Coran et analyse cette vision du langage. Au contraire, le philologue Ibn Jinnī (932-1002), qui a vécu un siècle plus tard, est moins intéressé par les effets politiques ou sociaux de la langue que par les origines de l’arabe, et son processus de création. Enfin, al-Fārābī s’inscrit directement dans la tradition grecque. L’arrière-fond coranique et islamique est beaucoup plus faible chez lui, car il ne fait pas de référence directe au Coran, mais il reste marqué par ses thèmes principaux. Pour lui, la manière dont nous cadrons la réalité est éminemment liée à notre langue maternelle : les valeurs que l’on apprécie ou que l’on rejette, les personnes que l’on juge bonnes ou mauvaises – tout peut être expliqué par la langue.

 

Dans la religion musulmane, la répétition et l’apprentissage par cœur ont une grande importance : est-ce que ces méthodes permettent de stabiliser le langage ?

Toute existence est due à Dieu, et exprime en essence sa louange, sa volonté. Puis, le Coran a été directement dicté par Dieu à Mahomet, ce qui encore une fois montre l’importance du langage dans la religion musulmane. Les lignes du Coran sont donc les paroles de Dieu. Répéter les mots divins, c’est s’inscrire dans un univers sémantique chargé de sens et de signification.

“Pour al-Fārābī, la manière dont nous cadrons la réalité est éminemment liée à notre langue maternelle : nos valeurs, goûts, jugements, tout peut être expliqué par la langue” Nadja Germann

 

Si Dieu parle, tout le monde peut-il l’entendre ? Est-ce réservé à des prophètes ou la prière de l’humain ordinaire permet-elle de l’atteindre ?

On l’entend par l’étude du monde, par la recherche de signes divins, mais aussi par la lecture du Coran. Dans l’Islam, le texte est transmis pour aider les êtres humains à comprendre leurs tâches, leurs situations. Donc toutes les pratiques liées à la prière, qui essayent de s’ouvrir à Dieu, à sa parole et à son discours, nous aident à mieux comprendre ce qu’il nous dit. Et bien sûr, parfois, on a besoin d’aide, de quelqu’un qui nous explique, qui nous dise « Voilà, il faut comprendre ceci d’une telle façon ou d’une autre ». Mais cela dépend beaucoup des écoles. Chez les mystiques, les soufis, la recherche de Dieu se fait surtout par la méditation. Vider notre pensée pour laisser place à Dieu, en faire pleinement l’expérience, goûter à sa connaissance. Par-delà même de la compréhension, il y a une expérience directe avec le divin.

 

Enfin, il y a-t-il un mot ou une formule du Coran que vous trouvez particulièrement belle, qui a eu du pouvoir sur vous ?

La sourate 24, verset 35, qui est traditionnellement appelée « La lumière » : Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa Lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa Lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient. Je pense que cela résume bien ce que j’ai tenté d’expliquer.

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