Mort du neuropsychiatre Oliver Sacks

De l’exploration des beautés kaléidoscopiques de nos mondes intérieurs, par l’auscultation des plus étranges affections du cerveau et la quête des ressources de l’esprit par-delà les pièges de la maladie, Oliver Sacks avait fait son sacerdoce. Le neuropsychiatre britannique est mort le 30 août 2015 à l’âge de 82 ans, à New York.

Célèbre pour son essai consacré à L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, relevant les plus étranges lésions du cerveau rencontrées chez ses patients, provoquant l’altération des perceptions et des comportements, Oliver Sacks étudie la médecine à Londres où il est né en juillet 1933. Il émigre au Canada, puis aux États-Unis, où il s’établit finalement. Il pratique auprès de maisons de soins dans le Bronx, puis comme professeur de neurologie et de psychiatrie dans différentes universités, du Albert Einstein College of Medicine, à la New York University School of Medicine en passant par Columbia University.

L’œil de l’esprit

Auteur d’essais de vulgarisation, fondés sur des anecdotes et des récits de soins, Oliver Sacks connaît le succès avec la publication de L’Éveil en 1973, dans lequel il expose le cas de patients atteint d’encéphalite léthargique, une maladie du sommeil. L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, publié en 1985, est rapidement un best-seller, dont il tire un enseignement philosophique : la maladie n’est pas l’expression d’un « corps étranger » mais seulement un « état du soi ».

Il réitère l’exercice, avec la même conviction, dans Musicophilia, où il se penche sur le rôle thérapeutique de la musique et dans L’Œil de l’esprit. Dans ce dernier, il brosse une série de portraits de patients atteints d’affections visuelles, afin d’explorer le fonctionnement de l’esprit et de tenter une définition de la pensée, de l’imaginaire et du langage, à partir de l’extraordinaire plasticité du cerveau, cherchant à localiser cet « œil de l’esprit » qui dictait la pertinence de ses écrits.

Face à la mort

Son regard demeuré lucide en dépit d’un mélanome traité neuf ans auparavant sa mort, et qui l’avait laissé aveugle d’un œil, Oliver Sacks l’a conservé jusque devant la mort, lorsqu’il doit lui faire face en février dernier, à l’annonce de la multiplication de métastases dans son foie. Dans une tribune publiée dans le New York Times le 19 février 2015, il expliquait être confronté à la nécessité de « choisir comment vivre » les mois qu’ils lui restaient afin qu'ils soient les plus « riches, profonds et productifs ».

À cette exigence intenable, il répondait simplement en citant David Hume, son philosophe de prédilection, qui affirmait dans une autobiographie rédigée en un seul jour, l’un de ses derniers livres : « Ce dérangement m’a fait très peu fait souffrir physiquement ; et, ce qui est plus étrange, ne m’a, nonobstant le grand déclin de ma personne, jamais fait souffrir un seul moment de l'abattement de mes esprits […]. J’éprouve toujours la même ardeur pour les études, et la même joie en société ».

Le cancer a eu raison de cette ardeur, tandis qu’Oliver Sacks promettait encore la livraison de plusieurs ouvrages quasiment achevés, et qu’il se retournait une dernière fois sur son existence, témoignant d’un sentiment mêlé de peur et de reconnaissance : « Par-dessus tout, j’ai été un être sensible, un animal pensant, sur cette belle planète, et cela a été en soi une aventure et un privilège immenses. »