“Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori” : totem et tableaux
La Fondation Cartier propose la première grande exposition en France consacrée à Sally Gabori (1924-2015), peintre australienne aborigène. Laissez-vous emmener dans le temps du Rêve !
« Voici ma terre, voici ma mer, voici celle que je suis. » La Fondation Cartier met à l’honneur celle que fut Sally Gabori (1924-2015), en présentant un ensemble exceptionnel des œuvres de cette peintre aborigène autodidacte, devenue artiste à l’âge de 80 ans. Issue de la communauté kaiadilt, née sur l’île de Bentinck dans l’archipel de Wellesley, au nord-est de l’Australie, elle est l’une des dernières à y avoir vécu, après que la communauté a été déplacée par les colons sur un territoire voisin, prétendu moins inhospitalier. Là, à la maison de retraite, Sally Gabori trompe son ennui en se mettant à peindre et gagne rapidement la reconnaissance des plus grandes institutions. D’abord modestes, ses toiles prennent des dimensions monumentales. Elles échappent aux motifs classiques de l’art aborigène pour développer une veine plus personnelle, faite des grands aplats de couleur dynamiques : magenta, blanc, jaune, bleu, rouge… Leur apparente abstraction est trompeuse, car cette liberté formelle est au service d’un imaginaire topographique. Sally Gabori figure les souvenirs de son « pays » natal, les lieux marquants de son existence, où s’entremêlent la terre, la mer et le ciel. Ces lieux de mémoire renvoient par métaphore aux portraits des personnes qui y sont attachées, dont elle a été séparée, comme dans la série « My Country » qui évoque son lieu de naissance, « Thundi » le territoire de son père ou encore « Dibirdibi », littéralement la « Morue de Roche », un « ancêtre du Rêve ». Dans la cosmologie kaiadilt, le paysage a été façonné par ces êtres alors qu’ils traversaient le continent, avant de se changer eux-mêmes en lieux. L’importance de la géographie transparaît dans les identités, puisque les Aborigènes se nomment en fonction de leur lieu de naissance et de leur ancêtre totémique – le dauphin pour Sally Gabori. Comme le note l’anthropologue Philippe Descola, dans un remarquable essai consacré aux Formes du visible, « selon les cultures totémiques, animaux et humains ont des ancêtres communs, lesquels ne sont ni des animaux ni des humains, mais plutôt des “prototypes”. Ces prototypes ont laissé des semences d’individuation dans certains lieux. Ces semences s’incorporent dans les humains et les animaux qui vivent dans ces lieux, mais il n’y a pas d’ancestralité au sens classique. Il ne s’agit pas de lignées mais d’une revivification permanente dans des sites qui sont comme des “incubateurs ontologiques” ». Philippe Descola montre que « toute l’iconographie australienne a pour objet les êtres du Rêve et leur action instituante puisque tout dans le monde, à commencer par la segmentation des existants en classes nommées, doit sa genèse et son développement à ce moment primordial ». De ce moment primordial, Sally Gabori a fait la matière d’une œuvre magistrale.
Dans son dernier ouvrage Peinture et philosophie (Éditions du Cerf, 2021), le traducteur et auteur Marc de Launay s’interroge sur le…
Alors que Netflix adapte l’univers de sa saga post-apocalyptique Le Transperceneige, dont vient de paraître un nouvel opus, “Extinctions,…
Les travaux de l’anthropologue Philippe Descola nous enseignent que la manière dont les Occidentaux distinguent l’homme de l’animal n’a rien d’une…
Si le philosophe Luc Ferry soutient qu’il faut protéger la nature en fonction des intérêts humains, l’anthropologue Philippe Descola entend…
Que détruisent exactement les gigantesques feux de brousse en Australie ? En détruisant le paysage, ce désastre écologique met en cause un certain…
Mort sur la roue, écrasé par une charrette, étouffé par un serpent : les légendes qui entourent la mort d’Averroès sont légion. La peinture et la littérature ont fait de ce juriste, médecin et philosophe, un fanatique ou un athée…
Femmes, enfants et servantes remplacent les héros et les saints dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. En quatre tableaux exposés à la…
Pour Michel Foucault, Manet n’est pas seulement le précurseur de l’impressionnisme. C’est toute la peinture moderne que son œuvre provocatrice a…