“Mères, pères et autres”, l'empire des liens de Siri Hustvedt

À la façon dont Marc Aurèle entame ses Pensées pour moi-même par l’énumération de tout ce qu’il doit à ses proches, Siri Hustvedt dédie un recueil d’articles aux liens familiaux qui la soutiennent.

Après Souvenirs de l’avenir (Actes Sud, 2019), qui revenait sur sa vocation d’écrivaine tout en évoquant la violence de la misogynie dont une jeune femme de lettre peut être l’objet, Mères, pères et autres est encore une façon de faire de l’autobiographie. Siri Hustvedt a de la chance : elle a entretenu une relation longue et complice avec sa mère. Ce sont notamment les dernières années, alors qu’« une quinquagénaire discute avec une octogénaire », qui permettent à l’autrice de nourrir une réflexion sur la façon dont les injonctions liées au genre se transmettent – ou ne se transmettent parfois heureusement pas. Même une fois les années cinquante et son idéal de la femme au foyer passés, le « fantasme de la mère parfaite » travaille celle qui est devenue mère à son tour tout en continuant d’écrire – obtenir la fameuse « chambre à soi » n’a d’ailleurs pas été une évidence, glisse-t-elle au passage. Non sans admiration, Siri Hustvedt se souvient également de sa grand-mère paternelle née dans un milieu pauvre d’immigrés norvégiens. Pourquoi entrer dans le détail parfois précis de sa généalogie ? Parce que cette idée existentialiste issue de Heidegger d’un « être jeté dans le monde » l’agace. « Nous sommes nés d’une personne », remarque-t-elle. Or la philosophie a une fâcheuse tendance à éluder la dimension organique de la naissance. Siri Hustvedt préfère être honnête, voire naïve – la misogynie, haine des femmes dont celui qui l’éprouve est pourtant forcément sorti, est un sentiment « bien étrange » selon elle. De quoi former un empire de tous ces liens qui l’entourent.

Mères, pères et autres, de Siri Hustvedt, vient de paraître dans une trad. de F. Joly aux Éditions Actes Sud. 384 p., 24,50€, disponible ici.