L’aventure d’un classique

Marx-Proudhon, frères ennemis

Victorine de Oliveira publié le 2 min

Ils ont beau se réclamer du socialisme, Marx et Proudhon se sont affrontés par essais interposés, la Misère de la philosophie (1847) du premier, écrit en français, répondant à la Philosophie de la misère (1846) du second. Si les deux s’accordent sur le diagnostic, tout les oppose quant aux solutions proposées. Marx reproche notamment à Proudhon d’adopter un cadre hégélien simpliste pour critiquer les rapports de production et se moque de ses prétentions à suivre la raison scientifique – tout en le taclant au passage sur son antisémitisme.

 

Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847, trad. fr. Payot, 2019, pp. 157-178.

 

« Les économistes expriment les rapports de la production bourgeoise, la division du travail, le crédit, la monnaie, etc., comme des catégories fixes, immuables, éternelles. M. Proudhon, qui a devant lui ces catégories toutes formées, veut nous expliquer l’acte de formation, la génération de ces catégories, principes, lois, idées, pensées.

Les économistes nous expliquent comment on produit dans ces rapports donnés, mais ce qu’ils ne nous expliquent pas, c’est comment ces rapports se produisent, c’est-à-dire le mouvement historique qui les a fait naître. M. Proudhon ayant pris ces rapports comme des principes, des catégories, des pensées abstraites, n’a qu’à mettre ordre dans ces pensées, qui se trouvent déjà alphabétiquement rangées à la fin de tout traité d’économie politique. Les matériaux des économistes, c’est la vie active et agissante des hommes ; les matériaux de M. Proudhon, ce sont les dogmes des économistes. Mais du moment qu’on ne poursuit pas le mouvement historique des rapports de la production, dont les catégories ne sont que l’expression théorique, du moment que l’on ne veut plus voir dans ces catégories que des idées, des pensées spontanées, indépendantes des rapports réels, on est bien forcé d’assigner comme origine à ces pensées le mouvement de la raison pure. Comment la raison pure, éternelle, impersonnelle fait-elle naître ces pensées ? Comment procède-t-elle pour les produire ?

Expresso : les parcours interactifs
Comment commenter un texte philosophique ?
Une fois qu’on a compris la thèse d’un texte de philo, il n’y a plus rien à faire ? Faux ! Apprenez comment commenter un texte de philosophie avec une méthode imparable, étape après étape. 
Sur le même sujet
Article
2 min

Marx cherche d’abord son soutien, avant de rapidement devenir son principal rival. Le socialiste français Pierre-Joseph Proudhon est à tel point la bête noire de Marx que, répondant à la Philosophie de la misère de Proudhon, Marx écrit…


Article
7 min
Michel Delon

L’auteur du Discours sur l’origine de l’inégalité estime que le progrès et la société corrompent, tandis que l’auteur de Juliette ou les Prospérités du vice juge que l’homme est naturellement mauvais. Frères ennemis unis dans…


Article
4 min
Michel Olivier

En 1944, l’économiste Karl Polanyi pointait le processus libéral qui, au XIXe siècle, émancipa l’économie de tout contrôle étatique. Or la régulation de l’économie est aujourd’hui devenue impérieuse face aux menaces sur l…


Article
3 min
Victorine de Oliveira

Lorsque Proudhon publie Qu’est-ce que la propriété ? en 1840, le socialisme, soit la volonté de collectiviser les moyens de production, est encore une affaire de penseurs plutôt que de partis politiques. En France, débats et…


Bac philo
3 min
Nicolas Tenaillon

Considérée comme propre à l’homme, celui-ci étant qualifié par Aristote d’« animal rationnel », la raison (du latin ratio : calcul) peut se définir comme la faculté de juger du vrai et du faux, de discerner le bien du mal…




Article
11 min
Camille Tassel

« Homme terreur », « le plus détesté de son siècle », les qualificatifs ne manquent pas pour peindre cet autodidacte à la pensée révolutionnaire…

Pierre-Joseph Proudhon. Le père de l'anarchisme