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Marco Polo en provenance des Indes et arrivant à Ormuz sur le golfe Persique, vers 1410-12 . Extrait du “Livre des merveilles du monde”. Conservé à la BNF. © Bridgeman Images

Marco Polo, le premier homme de la mondialisation

Moritz Rudolph publié le 12 janvier 2024 5 min

Nous fêtons ces jours-ci les sept cents ans de la mort de Marco Polo, le célèbre marchand et explorateur vénitien. Portrait de la première grande figure de la mondialisation.


Nous vivons à l’ère de la mondialisation, de la mise en relation de tous les pays par le biais du commerce, de la technologie et des problèmes environnementaux, à l’ère de la synchronisation des modes de vie et de penser, à l’ère de la transformation de la Terre en un espace intérieur. Mais dire quand tout cela a commencé est beaucoup moins évident : en 1989 avec la chute du mur de Berlin qui a supprimé toutes les barrières commerciales ? Au XIXe siècle, avec la naissance du capitalisme industriel ? Ou en 1492, avec la colonisation européenne de l’Amérique ? L’historienne de l’économie Janet Abu-Lughod remonte encore plus tôt et fait débuter le système mondial moderne au XIIIe siècle, lorsque l’Empire mongol a créé un espace de circulation unifié de la Chine à l’Europe centrale et orientale en passant par la Russie et l’Inde – espace dans lequel le commerce, les hommes et les informations pouvaient circuler. La mondialisation ne serait alors pas une invention européenne mais eurasienne, pas moderne mais médiévale. Elle ne serait pas une affaire de navigation maritime et aérienne mais, d’abord, de voies terrestres permettant une libre circulation garantie par l’Empire mongol, premier empire hégémonique, précurseur des États-Unis.

 

La première mondialisation

Le témoin le plus connu de ce processus est un Européen, Marco Polo, descendant d’une famille de marchands vénitiens, qui a voyagé pendant plus de vingt ans en Asie, relatant ses aventures dans son Livre des merveilles. Polo a emprunté l’ancienne route de la soie jusqu’en Chine, où il a été reçu par Kubilai Khan, souverain de l’Empire mongol. Quelques années plus tôt, Khan avait déjà nommé le père et le frère de Polo émissaires chargés de transmettre des messages au pape. Il nomma également le jeune Marco Polo préfet. Celui-ci parcourut l’empire en son nom. Polo le décrit comme une entité politique bien gérée. Le Khan bienveillant veille à la prospérité et à la justice. Le Vénitien est particulièrement impressionné par la prospérité des villes chinoises. Ce n’est qu’après de nombreuses années qu’il retourne à Venise en passant par l’Asie du Sud-Est, l’Inde, la Perse et Byzance.

Les récits de Polo le présentent comme un curieux vagabond qui observe attentivement son environnement. Bien sûr, ces récits ne sont pas exempts d’exotisme sensationnel. Certains le considèrent comme le premier orientaliste, qui regarde l’Asie à travers son regard étroit d’Européen. Il dit avoir assisté à de nombreux miracles : à Bagdad, une communauté capable de déplacer une montagne par sa seule imagination ; à Sumatra, une licorne ; au Cachemire, un peuple capable de modifier le cours du temps ; en Inde, une bande de brigands capables d’obscurcir le ciel. Mais le regard de Polo ne s’intéresse pas uniquement au merveilleux. Il reconnaît la supériorité des empires d’Extrême-Orient, qui disposent déjà d’un système postal sophistiqué, de poudre à canon, de papier-monnaie et de nouilles (spécialité qu’il aurait rapportée en Italie). Il cherche sérieusement à comprendre la logique propre de son environnement. À cette fin, il apprend des dizaines de langues. Il considère avec respect la civilisation créée et maintenue par le Khan, alors que les Mongols évoquaient, en Europe, une peur panique. Selon la spécialiste allemande de littérature et autrice de Marco Polo. Leben und Legende (1998, non traduit) Marina Münkler, les décennies passées au service du Khan ont fait de lui un « transfuge culturel », un hybride à la fois vénitien, mongol et eurasien.

“Polo a quitté le cercle étroit de sa patrie pour devenir un habitant du monde – non pas pour soumettre l’autre, mais pour créer les bases d’une coopération”

 

Un athlète global

Peut-être pouvons-nous, avec le philosophe Peter Sloterdijk, qualifier Marco Polo de premier « globo-athlète », ou champion de la mondialisation. Polo a quitté le cercle étroit de sa patrie pour devenir un habitant du monde – non pas pour soumettre l’autre, mais pour créer les bases d’une coopération entre des « âmes hautement performantes en matière de coexistence ». Un modèle d’exigence pour les futurs habitants de la Terre défini par Sloterdijk il y a trente ans dans son livre Dans le même bateau. Essai sur l’hyperpolitique. Dans le « monde synchrone » de « l’hyperglobe en réseau », il s’agit de prendre en charge le « stress de la planétarisation » par des glissements nonchalants, une conscience nomade et une construction identitaire flexible. Comme tout globo-athlète, Polo a subi la « vengeance du local » (Sloterdijk). Après son retour, une guerre éclate entre les villes marchandes de Gênes et de Venise, au cours de laquelle il est capturé. Son emprisonnement lui permet tout de même d’écrire, avec l’aide de son compagnon de cellule Rustichello de Pise, son célèbre récit de voyage en Asie, fondant ainsi la grande tradition italienne de la littérature de prison et d’exil, qui court de Machiavel à Antonio Negri en passant par Antonio Gramsci. Le global prend, à son tour, sa revanche sur le local, qu’il utilise comme un tremplin.

Même si tout ce qu’il a écrit n’est pas exact, et même si Polo – comme le prétendent des historiens critiques comme Frances Wood – a tout inventé et ne s’est jamais rendu en Chine, cela n’enlève rien à l’essentiel, au désir d’admiration pour l’Asie que son récit exprime. Son intérêt pour le monde a inspiré les explorateurs ultérieurs. Christophe Colomb, pense-t-on, connaissait son livre par cœur. L’exploration transatlantique a commencé comme un récit de voyage oriental, l’expansion de l’Europe comme une audience avec le Grand Khan.

“Le monde que décrit Marco Polo ressemble davantage à notre présent que les siècles qui nous séparent de lui”

 

Notre présent eurasien

Marco Polo est intéressant pour une autre raison : le monde qu’il décrit ressemble davantage à notre présent que les siècles qui nous séparent de lui. C’est la thèse que défend le géostratège Robert D. Kaplan dans son livre The Return of Marco Polo’s World (2018). Les événements mondiaux se concentrent désormais sur la zone terrestre eurasienne. Un empire ambitieux se lève à l’est, qui veut ouvrir l’Asie centrale via la route de la soie et prendre le contrôle de la Russie, de la Perse et de l’Inde, sans y parvenir tout à fait. Des héritiers d’empires disparus comme l’Iran ou la Turquie, travaillent à la restauration de leur grandeur passée. L’Europe en décomposition, rattachée au supercontinent eurasien, se fond dans une unité économique et technologique qui remplace l’Occident comme région centrale. Tout cela était connu de Marco Polo. Pas grand-chose à voir avec l’ère de la domination européenne sur le monde entre 1492 et 1989. Marco Polo est donc peut-être plus actuel qu’il n’y paraît.

La première mondialisation a pris fin vingt-cinq ans après la mort de Marco Polo, non pas à cause de la concurrence entre les grandes puissances, mais à cause de la grande peste de 1348-1349, qui s’est propagée par les mêmes routes que celles qui avaient façonné le système mondial. Celui-ci s’est décomposé en sous-systèmes régionaux qui ont mis un certain temps à se remettre du choc de la séparation et à tenter à nouveau de se relier à travers les expansions ibériques. Cette fois, les choses se dérouleront sur la mer, dans un espace élargi qui comprend l’Amérique et l’Afrique. Telle est la leçon que nous pouvons tirer du monde disparu et ressuscité de Marco Polo : la mondialisation est fragile et réversible, mais elle sera rétablie à un moment ou à un autre afin de rapprocher plus intensément et plus étroitement les parties du monde.

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Traduit par Octave Larmagnac-Matheron
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