Manon Garcia : “Les hommes n’ont plus d’excuses”

Peut-on espérer que les hommes confinés prennent davantage conscience de la charge mentale liée au travail domestique ? 

Manon Garcia : Je ne suis pas convaincue par l’optimisme de ceux qui pensent que les hommes vont enfin prendre la mesure de tout ce que les femmes font. Nous n’avons pas encore de statistiques sur le sujet, mais j’entends plutôt des témoignages d’hommes excédés par le bruit des enfants, qui réclament de l’espace et du calme pour travailler. Et beaucoup moins d’hommes qui disent réaliser qu’ils n’en faisaient pas assez au niveau du travail domestique. La prévision, la prise en charge du planning concernant les tâches domestiques, reste davantage assumée par les femmes. Nous n’en avons pas fini avec les inégalités de genre. Avant le confinement, on entendait beaucoup que les inégalités domestiques s’expliquaient par le travail des hommes, que les hommes participeraient davantage aux tâches domestiques s’ils en avaient le temps. Or, le temps que les hommes ne passent plus dans les transports, ils ne le consacrent pas aux tâches domestiques. On ne peut plus expliquer ces inégalités autrement que par la domination patriarcale, et c’est ce qui les rend beaucoup plus violentes : il n’y a plus la moindre excuse pour justifier l’assignation des femmes au travail domestique. 

Le confinement risque-t-il de peser davantage sur les trajectoires de carrière des femmes que sur celles des hommes ?

Il va effectivement avoir un impact différencié sur les carrières des femmes et celles des hommes. Un décret permet à l’un des conjoints de passer en chômage partiel pour assurer la garde de ses enfants. Or, statistiquement, les femmes sont moins payées et sont davantage en travail partiel que les hommes : ce peut donc être un calcul rationnel pour la famille de décider que ce soit la femme qui passe en chômage partiel. La productivité des femmes en télé-travail souffrira également davantage du confinement, en raison du partage inégalitaire des tâches domestiques et parentales. Les femmes assument davantage la gestion de l’école à la maison ; sans parler des familles monoparentales, qui sont à 84 % des mères seules. Penser que le télé-travail peut se faire avec la même productivité qu’au bureau est une illusion – je le vois particulièrement dans mon domaine, avec le travail universitaire : impossible de faire de la recherche avec ses enfants dans la pièce d’à côté. Or les femmes ont l’habitude de faire passer leur travail au second plan pour gérer les impératifs familiaux : certaines universitaires vont, par exemple, mettre leur carrière en retrait et donc se montrer moins présentes dans l’espace public. Puisque les femmes auront été amenées à être moins productives que les hommes durant ce confinement, elles seront ensuite moins promues. Nous devons donc prendre la mesure, socialement, du fait que la disparition de la garde d’enfants influe sur les carrières. Sans une prise en charge sociale de cet impact, cela aura un effet différentiel entre les hommes et les femmes.